REVISION DE LA CONSTITUTION
SUR DES CHEMINS QUI DEVRAIENT MENER QUELQUE PART
Résumé
La Constitution de 2006 a été révisée en 2011 pour répondre à des préoccupations liées à la sécurité, aux difficultés de financement, d’administration publique et judiciaire. Face à des écarts comportements des dirigeants et des citoyens, le professeur Ndaywel propose une approche à partir du projet adopté au siècle dernier lors des travaux de la Conférence Nationale Souveraine. Pour consolider de l’Etat de droit, l’on devrait davantage enraciner le projet constitutionnel plutôt que de privilégier une gouvernance de type anomique.
- Introduction
Au moment où se répandent des rumeurs persistantes sur une énième révision constitutionnelle, rumeurs renforcées par des déclarations récurrentes de certains acteurs politiques proéminents, le professeur Isidore Ndaywel a décidé de mettre la main à la pâte en publiant un article intitulé « Avant-projet d’une nouvelle Constitution de la République Démocratique du Congo (Adaptation du projet de Constitution de la Conférence Nationale Souveraine)»[1]. Cette publication a été suivie d’une conférence organisée sur le thème : «Du territoire en quête d’Etat à l’Etat maître du territoire : pour une nouvelle Constitution de la RDC» (Kinshasa, Centre Culturel Boboto, Samedi, 19 août 2023) ; ainsi qu’une interview dans le journal en ligne Les coulissesRDC.info : RDC. Projet de nouvelle Constitution, le professeur Ndaywel fixe l’opinion : «la RC est un Etat souverain qui doit s’organiser en fonction de ses objectifs», 23 août 2023). Il avait existé aussi d’autres prises de parole qui ne manquèrent pas de secouer les opinions : l’ouvrage du professeur Boshab[2], ainsi que de nombreuses interventions chaudes du professeur André Mbata, sans compter de précieuses réflexions de feu le professeur Kabuya Lumuna[3], d’heureuse et si illustre mémoire.
Rappelons cependant qu’au lendemain même de la promulgation de la Constitution du 18 février 2006, la Conférence épiscopale nationale des évêques de la RDC avait déjà émis le vœu de voir le parlement procéder de manière urgente à la révision de certaines dispositions[4]. Mais depuis lors, il n’y a eu qu’une seule révision consacrée par la loi n°11/002 du 20 janvier 2011 portant révision de certains articles de la Constitution.
Bien que le professeur Ndaywel ait pris soin d’annoncer que son initiative ne pourrait entrer en lice qu’après les élections envisagées pour cette année 2023 – sans forcément viser le prochain mandat -, il n’a pas manqué des esprits pour s’embraser et frapper son discours du sceau de la suspicion et de l’anathème.
Aussi serait-il plutôt indiqué d’engager un dialogue avec lui en passant en revue les motifs qui l’animent et qu’il avance, ainsi que les orientations et options qu’il propose, car son initiative est éminemment un appel au débat. Nous nous inspirerons, pour bien faire, de l’exposé des motifs de la révision opérée en 2011, puis nous passerons à l’examen de l’économie générale de sa proposition, et enfin, nous discuterons du bien-fondé du recours à la révision constitutionnelle comme mécanisme de résolution des problèmes de gouvernance anomique dans notre pays. Nous conclurons en formulant quelques recommandations en vue du redressement de la gouvernance étatique, car des propos intempestifs peuvent se révéler des sources précieuses pour des orientations dans le temps, pourvu qu’on sache les déconstruire.
1.Lignes de force de la révision constitutionnelle de 2011
Deux faits majeurs ont marqué les lendemains des élections de 2006. Il s’agit d’une part de l’explosion des affrontements armés ravageurs et meurtriers dans la ville de Kinshasa à la veille du second tour du scrutin présidentiel et après la proclamation des résultats du second tour de ce même scrutin, d’autre part, il fut relevé de nombreux cas de conflits entre les députés nationaux ou les sénateurs et les suppléants qui les avaient remplacés à l’assemblée nationale ou au sénat. Par ailleurs, l’on se rendit aussi compte de la charge financière exorbitante nécessitée par les opérations logistiques inhérentes à l’organisation du second tour du scrutin dans les délais requis.
A ces préoccupations liées à la sécurité en contexte électoral, ainsi qu’aux finances (financement des élections, ouverture de crédits provisoires et garanties financières pour les élus après l’exercice d’un mandat public), se sont ajoutées d’autres préoccupations administratives et judiciaires (composition du pouvoir judiciaire, pouvoir de dissolution des assemblées provinciales et de révocation des gouverneurs de province, procédure d’installation de nouvelles provinces, prérogative de convocation du référendum).
Le constituant, quant à lui, s’était concentré sur trois axes majeurs :
– des situations concrètes, des contraintes et des problèmes non prévus par la constitution originaire ;
– l’existence de dispositions handicapantes et inadaptées aux réalités politiques et socio-économiques de la RDC ;
– l’apparition des dysfonctionnements imprévus par le constituant originaire.
Ainsi, sans vouloir remettre en cause les options fondamentales, notamment celles levées en matière d’organisation du pouvoir d’Etat et de l’espace territorial de la RDC, la vision mise en œuvre dans la révision de 2011 se limitait à «donner des réponses adéquates aux problèmes posés aux institutions de la République depuis le début de la première législature de la IIIème République afin d’assurer le fonctionnement régulier de l’Etat et de la jeune démocratie congolaise».
Depuis lors, huit articles ont fait l’objet de la révision, mais seul l’article 71 relatif à l’organisation de l’élection du Président de la République à la majorité simple des suffrages exprimés, débouchant en fait sur une élection à un seul tour, a fait directement et permanemment l’objet de débats sans fin, entre politiciens et leurs affidés.
La Cenco et le professeur Kabuya Lumuna, qui avaient aussi examiné le problème de la révision, estimaient qu’un président de la République élu à la majorité simple des suffrages exprimés ne pouvait guère disposer d’une légitimité suffisante en cas d’un score inférieur à 50 % de voix. Ce à quoi il était répondu que l’organisation hasardeuse d’un second tour était toujours susceptible d’accroître les tensions au sein de l’électorat et de renforcer les tendances à l’éparpillement des partis et regroupements politiques, avec entre autres effets collatéraux la complication des consultations lors de la constitution de la majorité parlementaire pour la formation du gouvernement. Notre histoire politique enseigne, en effet, que les gouvernements sont toujours formés, à partir des alliances sous forme de coalition ou de cohabitation, à quelques exceptions près notées à l’ère du monopartisme, et encore !
Depuis l’accession de notre pays l’indépendance, nous avons connu plus de dix révisions des textes constitutionnels.
2.Les piliers de la réforme de l’Etat congolais selon le professeur Ndaywel
Alors que la révision de 2011 repose sur des constats relatifs à des problèmes non prévus, à des dispositions mal assorties (handicapantes et inadaptées) ainsi qu’à des dysfonctionnements, le point de départ du professeur Ndaywel est la prise de conscience du risque majeur que court notre pays : le danger de partition du territoire national, le pillage systématique des ressources naturelles, la recrudescence des violences et l’imminence de l’exacerbation des crises électorales. Pour lui, «la démocratie prônée par la Constitution du 18 février 2006 et revue par la loi n°11/002 du 20 janvier 2011, a atteint ses limites» (p. 107).
Voilà ce qui rendrait impérieuse et urgente la prise en main par les Congolais de leur destin collectif, à travers des décisions courageuses pour sauvegarder la Nation et marquer un tournant décisif dans leur cheminement. Les cycles électoraux qui se sont succédé, à savoir ceux de 2006, 2011 et même celui de 2018, n’auraient occasionné que des effets pervers perceptibles notamment à travers une bureaucratie politique inutilement – pour ne pas dire scandaleusement – budgétivore, l’inefficacité des services de police et de sécurité, et l’abandon des services élémentaires à la société (p. 107).
L’appel à la refondation de l’Etat devient alors un enjeu urgent si l’on veut assurer la réelle maîtrise de l’ensemble du territoire national, en même temps que la gestion effective et efficiente des ressources naturelles et humaines. La solution préconisée est l’adoption d’une nouvelle constitution inspirée de celle jadis élaborée par les Congolais réunis dans le cadre de la Conférence Nationale Souveraine (07 août 1991-17 décembre 1992), de manière à rester en phase avec notre héritage culturel et politique.
La nouvelle architecture constitutionnelle consacrerait un régime de type fédéral, une réorganisation des mandats en séquences de 9 ans non renouvelables pour le Président de la République, 7 ans pour les députés nationaux et les sénateurs, et 5 ans pour les députés régionaux (la région étant un regroupement de provinces). Il y aurait deux capitales : l’une économique, à Kinshasa, et l’autre politique, à Kisangani. Des dispositions adéquates seraient prises pour l’affirmation de l’autorité de l’Etat et la valorisation de la carrière du service territorial. Enfin, l’épineuse question de la définition de la nationalité congolaise serait aussi à reformuler, en réservant notamment la fonction présidentielle aux congolais d’origine.
La proposition du professeur Ndaywel montre, d’une part, que la gouvernance sous le label de la démocratie avait déjà été marquée, sans doute lors de deux premières législatures, par des problèmes de non ajustement à la recherche du bien commun, mais que, d’autre part, elle se serait même soldée, apparemment sous la troisième législature, par un abandon pur et simple de l’intérêt commun, donnant lieu à la banalisation généralisée de la violence et au surgissement des replis identitaires, sans parler de la négligence plus que coupable des régions martyres du fait de la guerre et des violences criminelles (p. 108). Ainsi perçue et bon gré mal gré, l’approche du professeur Ndaywel crève l’abcès ; elle n’épargne donc personne, ni les dirigeants d’hier ni ceux d’aujourd’hui, et c’est pourquoi elle se situe au-delà des scrutins projetés pour l’année 2023. Elle déclare fermement sa foi dans la nécessité d’inscrire dans la constitution l’impératif du changement de l’homme congolais.
3.La voie de sortie de la gouvernance anomique
Lorsque nous mettons en perspective les deux démarches : celle de la révision de 2011 et celle de la proposition du professeur Ndaywel, une difficulté majeure surgit : les problèmes répertoriés par le professeur Ndaywel sont-ils imputables à l’architecture constitutionnelle ? Autrement dit, pour refonder la nation congolaise et assurer son émergence, suffirait-il d’une constitution fédérale, avec un président de la République et des parlementaires élus selon des mandats de 9, 7 et 5 ans, sur base d’un calendrier forcément décalé d’année en année, et deux capitales pour notre pays, sans compter la redéfinition de la nationalité congolaise ?
Le tribalisme primaire et les injustices massives dénoncés par les plus hautes autorités du pays ne sont pas imputables au mode d’organisation générale de l’Etat ; pas plus d’ailleurs que la multiplication exponentielle des détournements en millions de dollars, suivis de mascarades de contrôles financiers. L’intérêt commun serait-il mieux porté par les animateurs de nouvelles régions appelées à regrouper des provinces actuelles que par les gouverneurs et les ministres provinciaux actuels ? Y aurait-il moins de scandales touchant à la moralité si le Président de la République était élu pour un mandat non renouvelable de 9 ans ?
Pouvons-nous croire aujourd’hui aux bienfaits immédiats du fédéralisme sur la réduction des épanchements identitaires de plus en plus célébrés par certaines communautés ethniques ? Et même pour la restauration de l’autorité de l’Etat, qu’est-ce que la retour nostalgique de la défunte gendarmerie – fût-ce au nom de la promotion de la fermeté – y apporterait comme plus-value, sans surcharger inutilement le système de sécurité ?
Si nous considérons le cas emblématique que constitue le renversement de la majorité parlementaire ayant entraîné l’éclatement de la coalition FCC/CACH (Front Commun pour le Congo/Cap pour le changement), on se souviendra que, durant la transition, le régime 1+4, soit un président de la République, et quatre vice-présidents de la République avait donné une illustration apparemment rocambolesque d’une coalition sui generis, qui a pu malgré tout, assurer la paix au pays et conduire à l’organisation d’élections pluralistes.
Mais, à la création de l’Union Sacrée de la Nation (USN), il avait été allégué que la coalition FCC-CACH bloquait le fonctionnement des institutions et gênait le leadership du président de la République. A l’évaluation de l’expérience USN, il s’est avéré que la coalition était de loin préférable et bénéfique au pays. L’ère de l’USN aura été celle de l’accumulation de violations de la Constitution et des lois. De quoi se demander à quoi rimaient les remises en cause récurrentes de la Constitution. Alors qu’elle disposait désormais de sa majorité au Sénat et à l’Assemblée nationale, l’USN préféra organiser des coups de force pour installer de nouveaux bureaux. Des gouverneurs de province furent démis par leurs assemblées sans le moindre respect de la procédure réglementaire. L’Inspection Générale des Finances s’est illustrée par des prises de décisions en lieu et place des Ministères attitrés. Un foisonnement de structures rattachées à la présidence de la République s’est substitué constamment aux ministères et comités d’entreprises compétents. Cérise sur ce gâteau, les autorités judiciaires s’adonnent au jeu du yoyo, quand ce n’est pas la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI) qui lève l’option de se saborder en minant délibérément les procédures électorales susceptibles de garantir l’intégrité du processus, autant que sa transparence et sa crédibilité.
Plus d’une fois, les observateurs ont eu l’impression que la gouvernance globale du pays s’était alignée sur le paradigme de l’anomie : violer les lois par principe et délibérément. Dans aucun secteur, le souci de se conformer à la loi ne s’impose encore ; et cela ne pourrait être imputable ni à l’architecture ni aux formes géométriques de notre plate-forme sécuritaire.
Le professeur Ndaywel évoque la politisation à outrance qui conduit à la consommation de la majeure partie des ressources financières par des responsables publics qui se préoccuperaient d’abord et avant tout des terroirs ou provinces dont ils sont originaires (p. 108), perdant sans doute de vue les innombrables cas des ressortissants opérant en bandes organisées pour piller leurs propres patelins. Nous devrions simplement retenir de notre héritage historique et politique la persistance du système kleptocratique, c’est-à-dire du gouvernement par des voleurs, fustigé depuis la deuxième République.
Nous ne devrions pas commencer par incriminer la Constitution en vigueur. Si nous ne sommes pas en mesure de nous y conformer, ce n’est pas forcément parce qu’elle nous handicaperait ou qu’elle serait, à tous les coups, inadaptée ; peut-être devrions-nous nous regarder nous mêmes et scruter notre propre comportement ?
Alors que la Constitution dispose gentiment que le gouvernement conduit la politique du pays, des conseillers de la présidence de la République s’affichent dans les médias pour nier l’existence des conflits dans l’est ou pour étaler le type d’analyse ayant conduit à croire naïvement à la mise en place d’un partenariat basé sur des rapports de sincérité avec des voisins notoirement connus pour leur filouterie. Même au plus fort de la guerre, un financier s’est fendu d’un rappel des relations éternelles de fraternité avec des fieffés menteurs, ignorant totalement l’épisode biblique de Caïn et Abel.
Du moment que ceux qui ont travaillé à l’aménagement des espaces au profit des envahisseurs sont connus, fallait-il encore organiser une battue dans les forêts et les savanes pour dépister des traîtres et des collaborateurs, en stigmatisant tel officier ou tel opérateur économique ? La stratégie de désignation de boucs émissaires a atteint son paroxysme avec le développement du mouvement insurrectionnel mobondo dans le Maindombe, le Kwilu et le Kwango, ainsi qu’aux portes de Kinshasa, oubliant même que de nouvelles milices étaient en train d’être organisées au cœur même de la capitale, de la même manière que le M23 avait été invité à Kinshasa. L’amateurisme des services d’intelligence ferait des appels d’air à la mobilisation des défenseurs de l’article 64 de la Constitution sur le droit à la résistance citoyenne. Sachons bien qu’entre le désordre et l’injustice, le peuple préférera toujours le désordre.
Ce n’est point faire de l’acharnement que de rappeler d’autres faits qui ont émaillé la gouvernance institutionnelle, tels le cas de la résurgence de la guerre dans l’Est de notre territoire, ainsi que celui des hauts magistrats du siège et du parquet organisant conjointement et en parfaite collusion un point de presse, au lendemain de l’enlèvement suivi de l’assassinat d’un député national. Tout en taisant avec gêne celui des réquisitions d’information émises par un magistrat du parget général près la Cour de Cassation et instruisant la Police judiciaire de vérifier si telle ou telle personnalité était en règle de paiement de ses factures d’eau et d’électricité. Pouvait-il y avoir pire forfaiture ?
Toujours au niveau de la justice, l’imbroglio est à son comble avec des encyclopédies d’affaires non élucidées. Un vétéran de la police judiciaire des parquets malencontreusement remis en selle, en contradiction totale avec la cohérence des options levées en matière d’unification de la fonction policière, ouvre un front indécent, insolent et téméraire à l’encontre de la Ministre de la Justice. A la Cour constitutionnelle, des appels au secours sont lancés aux quatre vents pour obtenir des clarifications sur le principe de revirement de la jurisprudence, quand ce n’est pas le magistrat de la cassation qui se démène avec un cas d’école sur les éléments constitutifs de la flagrance en cas de commission d’une infraction.
C’est dire manifestement que le salut ne se trouve nullement du côté d’un projet de révision constitutionnelle, quand bien-même il y aurait d’autres préoccupations concrètes pouvant nécessiter une telle option ; mais, comme elles n’ont pas été convoquées ni mises à contribution, on peut dès lors comprendre que, sur le chantier ouvert de bonne foi et en toute honnêteté scientifique par le professeur Ndaywel, se soient greffées des rumeurs politiciennes pour le moins tendancieuses. En réalité, la récupération politicienne d’une démarche de révision constitutionnelle n’est pas à exclure, dans la mesure où l’objectif réel ne consisterait pas dans la refondation de l’Etat, ni dans la réactivation de la prise en compte de l’intérêt commun, mais plutôt et sournoisement dans la remise à zéro du comput des mandats des élus. Alfred Nobel s’était réjoui d’avoir inventé la dynamite pour ouvrir des routes et des mines, il les retrouva sur des champs de bataille en train d’amputer des membres aux soldats et de détruire ponts, barrages et immeubles !
Pour utiliser une métaphore cynégétique : c’est là que résiderait le piège de toute démarche visant à réviser aujourd’hui la Constitution, à court ou moyen termes. Quoiqu’on s’en défende, une nouvelle Constitution, même si elle ressuscitait les morts de la CNS, n’aurait pour seul et unique mérite, pour autant qu’il y en ait, que de créer une nouvelle République, la IVème du nom, et de relancer le comptage des mandats, et la descente aux enfers se poursuivrait jusqu’à atteindre l’enfer, c’est-à-dire la disparition du pays.
Ce dont la Constitution a besoin, c’est du redressement de l’homme politique congolais ; d’où les appels incessants de la population au respect de la Constitution : «touche pas à ma Constitution». Ce cri n’a jamais eu pour prétention de proclamer l’immutabilité de la Constitution en vigueur, mais plutôt de rappeler qu’on ne devrait pas chercher à modifier les règles du jeu pendant que le jeu se déroule. Nous sommes en période d’implantation de la Constitution, conduisons à bon port ce chantier titanesque, de manière à nous imprégner des exigences de conformation à la loi fondamentale.
Ne cherchons donc pas à sacrifier aux faux-fuyants du genre comment être rassuré par un mandat relativement court ? Comment s’attendre à ce qu’un dirigeant se contente de tant de limitations de son pouvoir ? Comment traduire en justice un président de la République ou un premier ministre qui aurait contribué à la nomination des juges ?
Dans le même ordre d’idées, n’abandonnons pas la mise en œuvre de la décentralisation sous le prétexte ou au motif qu’il s’agirait d’un processus lent. La question des entraves à la décentralisation a été abondamment traitée, et les griefs aux piétinements dans sa mise en œuvre portent toujours sur les pesanteurs de l’homme congolais – les dirigeants prédateurs -, quels que soit le contexte constitutionnel. La révision constitutionnelle apparaît désormais comme la moins pertinente des solutions raisonnables. Sinon, nous en viendrions probablement à réclamer le retour à l’ordre judiciaire unique de la Cour Suprême à cause des dysfonctionnements scandaleux de la Cour constitutionnelle, de la Cour de Cassation et du Conseil d’Etat. Il y aurait même à craindre que d’aucuns tissent des projets pour ajourner indéfiniment le processus électoral, du fait de sa perversion scandaleuse, actuellement à l’oeuvre.
4.Conclusion : à propos des sentiers qui ne mènent nulle part
Le penseur allemand Heidegger nous a révélé un poème de Rainer Maria Rilke, qui évoquait des chemins qui ne mènent nulle part.
Chemin qui ne mènent nulle part
Entre deux près,
Que l’on dirait avec art
De leur but détournés.
Chemins qui souvent n’ont
devant eux rien d’autre en face
que le pur espace
et la saison
(Rainer Maria Rilke, Les quatrains valaisans)
La réflexion du professeur Ndaywel est décidément fort bénéfique dans la mesure ou elle révèle les contradictions permettant de dédouaner la Constitution de la responsabilité qui lui est généralement imputée comme source de nos égarements en matière de gouvernance. Prenons donc garde de désigner la Constitution comme bouc-émissaire du déboussolement de la gouvernance dans notre pays. Les outils à réajuster pour exorciser la gouvernance anomique sont sans doute rangés dans le placard de l’éthique politique des dirigeants congolais, et non plus dans dans la syntaxe de la légistique constitutionnelle.
Elles sont certes innombrables les pistes que les artistes des analyses politiques nous proposent pour nous aider à peupler nos rêves d’un destin meilleur pour notre pays et pour nous-mêmes. L’erreur consisterait, cependant, à les prendre pour des impasses ou à les assimiler à des voies sans issue. Tant qu’elles nourrissent nos rêves et notre imaginaire, elles peuvent nous mobiliser même pour des chimères. Ces chemins qui ne mènent nulle part peuvent ouvrir sur des horizons de réflexion et nous permettre de sortir des sentiers battus et de construire des itinéraires de succès et de prospérité.
La question utile n’est donc pas, ou plus, de chercher à savoir quelles modifications apporter à l’organisation des institutions pour assurer une gouvernance qui soit efficiente, mais plutôt celle de savoir comment assurer la stabilité de la Constitution pour enraciner nos usages et pratiques de gouvernance conformément au chantier constitutionnel. Ce qui reviendrait à dire qu’au stade actuel du processus de l’implantation de la démocratie dans notre pays, faire de la révision constitutionnelle une priorité ou un programme urgent de gouvernement pour les mandatures à venir à courte ou moyenne échéance, c’est déroger au profil des dirigeants requis pour la période considérée. La Constitution du 16 février 2006, avec ses limites et ses béquilles, ne devrait pas être considérée comme un habit à ajuster à la mesure et à la taille de chaque prétendant à la gestion du pouvoir d’Etat.
La troisième République, naguère en cours d’édification et maintenant en voie de démolition, portait les ferments de l’accomplissement de notre destin collectif, dans la grandeur et la puissance des institutions et non pas à travers la satisfaction des egos des dirigeants. L’ambition de l’ensemble de la population, c’est que nous devenions un pays normal avec des dirigeants normaux ; mais pourquoi, dès lors, certains de nos dirigeants et de prétendants à la gestion de la chose publique pensent-ils qu’ils devraient se faciliter la tâche pour la réalisation de leurs lubies au lieu de se mettre à la tâche en s’ajustant le mieux et le plus possible aux contraintes et exigences de l’architecture constitutionnelle qui avait été conçue pour les mettre au pas ?
Dans un ultime sursaut de survie, redressons le visage de la Cour constitutionnelle grâce à l’opportunité que nous offre l’arrivée à échéance des mandats de plusieurs juges. Que la tricherie soit écartée du processus de leur désignation. Ce sera un signal fort pour marquer la volonté de fonctionner comme des dirigeants normaux dans un pays contraint à redevenir normal. Juste après, devrait suivre le redressement de la CENI, dont le niveau de prévarication est à son comble et demeure sans pareil. Au vu de cela, l’appareil judiciaire pourra aisément être dégrippé.
A l’horizon des chemins qui ne mènent nulle part, pointe une cité de rêves tenue par des serviteurs dignes et honnêtes, respectueux des lois et soucieux du bien commun ; ce sont des chemins qui mènent vers une société d’espoir.
Août 2023.-
Professeur KAUMBA Lufunda
Philosophe et Criminologue
[1] NDAYWEL, art.cit., in Congo-Afrique n° 574, avril 2023, pp. 107-113.
[2] Evariste BOSHAB, Entre la Révision de la Constitution et l’inanition de la Nation, Bruxelles, Larcier, 2013
[3] Célestin KABUYA-LUMUNA SANDO, Réflexions sur la démocratie congolaise et ses principaux défis, Kinshasa, Ed. Cedis, 2017.
[4] Cf. CENCO, Levons-nous et bâtissons : (Ne 2,18). Pour un Congo nouveau, in Faustin-Jovite MAPWAR Bashuth, Le discours socio-politique des Evêques de la Conférence Episcopale Nationale du Congo (CENCO), Tome 2. Messages, déclarations et points de presse de la Cenco (1996-2006) et la Transition politique, Kinshasa, FCK, 2008, pp. 149-158.
A lire également dans Congo-Afrique N° 578-Octobre 2023 pp 972-981
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