Hommage au Général Mwanamputu Empung Pierre Rombaut Kinshasa, le 10 juillet 2024.-
Son Excellence Madame la Vice-Ministre ;
Monsieur le Commissaire Général de la PNC ; Monsieur l’Inspecteur Général de la PNC ; Mesdames et Messieurs ;
Chers membres de la famille éprouvée ;
J’étais tranquillement au Katanga, quand un ami m’a appelé de Kikwit, dans la matinée du samedi 11mai 2024, pour me demander si le Général Mwanamputu était encore en vie. J’ai alors vite contacté le Col Alain Makamba pour en avoir le cœur net ; et ce fut la consternation : la mauvaise nouvelle a été confirmée. J’ai alors appelé au numéro du Général Mwanamputu pour joindre son épouse, moi-même et mon épouse avons alors eu l’occasion de parler avec elle, de lui présenter nos condoléances et de l’assurer de nos prières. Ce furent quatre longues minutes de désarroi et d’anxiété. Toute perspective d’un bon week-end s’était évaporée. Comme le disait mon grand-père : « tu danses à mort, le mille- pattes est sous ton habit », car pendant que vous vous réjouissez, un malheur vous attend.
Je venais de perdre un jeune frère, un proche parent, un ancien collaborateur, un compagnon, qui était presque un copain. Une page d’histoire de ce pays venait d’être tournée, véritablement une page d’histoire, à la rédaction de laquelle il avait participé avec engagement, conviction et abnégation. Je peux le dire, car j’en fus l’un des témoins privilégiés. C’est cette page que nous allons parcourir à la volée. En retrouvant un peu de lucidité, je me suis alors souvenu de cette parole de sagesse : «Pour la guerre, on se fixe un rendez-vous, pour les palabres, les problèmes et les deuils, c’est n’importe quel jour ».
Nous sommes en août 1986, quand je regagne le pays, après avoir obtenu mes diplômes de philosophie et de criminologie à l’Université catholique de Louvain à Louvain-la-Neuve en Belgique. La Garde civile, créée le 28 août 1984, venait de procéder au recrutement et à la formation militaire la première promotion (commando pour les garçons et parachutiste pour les filles). La phase technico- policière allait débuter. Le Président général Sampassa Kaweta Milombe chargea le Secrétaire Général d’alors, Kpama Baramoto Kata, qui était en séjour à Bruxelles, d’organiser les facilités pour mon retour au pays. Ce qui fut fait, et le 23 septembre 1986, je débutais mes activités en qualité de formateur criminologue, au Centre d’Instruction de Maluku, dans les installations de la Sosider. Le Sous-Lieutenant Ekuka Lipopo m’ y rejoignit quelques mois plus tard, après son retour de l’École Royale Militaire et de l’Université de Liège. Je me garde d’évoquer la longue liste des générations formées, sur laquelle apparaissent notamment les noms des Généraux Galenga, Ntumba, Omokoko, Tariel, Tshisekedi, et bien d’autres.
Lorsque les éléments de la première et de la deuxième promotions furent déployés sur terrain et que la Garde civile commença à accomplir sa mission de police de l’économie, l’on eut besoin de spécialistes en matière de lutte contre la fraude fiscale et douanière. Le Général Baramoto, qui était devenu le patron de l’institution (depuis le 09 mai 1987), avait été saisi par le Pr Nyembo Shaban Commissaire d’Etat aux Finances, pour escorter les containers en provenance de Matadi tandis que Mr Nsinga Udjuu Ongwakebi Untube, alors Président du Conseil Judiciaire, avaient requis la Garde Civile pour soutenir sa campagne contre les irrégularités constatées dans l’administration de la justice.
Le Général Baramoto procéda au recrutement de spécialistes en matière de fiscalité, et constitua une cellule spécialisée de consultants, tous de retraités de l’Ofida, qui connaissaient les dossiers par cœur. Pour l’encadrement des unités sur terrain, l’on fit appel à de jeunes officiers issus de l’EFO, et qui tiennent aujourd’hui les rênes de la PNC : parmi eux le Commissaire Général Alongaboni, le Commissaire Général honoraire Bisengimana, et les Généraux Isiyo, Loosa, Mbombo, Mohinga, Ngonga, Nyombi ou Yaota, qui nous rejoignirent aussi en 1988-1989.
Mwanamputu Orient nous arriva de la Brigade anti-fraude évoluant au sein du Ministère de la Justice, où il exerçait en qualité d’expert en fiscalité. Il avait donc la maîtrise de la traque contre les athlètes de la fraude fiscale et douanière.
Avec mon collègue Vuvu Luthelo, ancien magistrat, nous encadrions une équipe de jeunes universitaires aux formations les plus diverses, parmi lesquels Alain Makamba, Licencié en Mathématique de l’UPN, la magistrate Militaire Odra Omuko, Dikitele Assa, Amisi Nyembo, Dingo, Nsukami, Makwaya, Tshiswaka et d’autres officiers de renseignements ou analystes de sécurité.
Nous travaillions dans la droiture et l’indépendance d’esprit ; notre équipe jouissait d’une réputation bien assise d’intégrité, de rigueur et d’honnêteté, car nous nous inspirions de la sagesse de mon grand- père, qui avait dit en son temps : « si un vieux chien coriace vit longtemps, c’est parce qu’il ne vole pas des œufs », car les propriétaires des œufs ont toujours des bâtons pour le battre avec. Nous fûmes d’ailleurs le seul corps à organiser une commission chargée d’investiguer sur les biens pillés, en 1994, et de procéder à des restitutions à leurs propriétaires.
Quand sonna l’heure de la Conférence Nationale Souveraine, nous nous retrouvâmes tout naturellement au cœur du Forum : le Général Baramoto, le Col Kisukula et le LtCol Mavambu Kia parmi les conférenciers en qualité de délégués des institutions publiques, le conseiller Vuvu comme délégué de la société civile, le Prof. Kaumba comme Directeur de la Documentation et expert à la commission de défense, sécurité et protection civile, Mwanamputu comme Directeur de la Logistique et Nsukami à l’audit.
Après la clôture des travaux de la CNS, Mwanamputu, fort de son expertise et de sa rigueur, fut retenu au sein de l’administration du Haut-Conseil de la République – Parlement de Transition, toujours comme Directeur de la Logistique. C’est ce qui lui permit, sur demande de la hiérarchie, d’alerter le cardinal Monsengwo pour lui éviter de se retrouver dans l’enceinte du Palais du Peuple au moment où le site allait être encerclé par l’armée. En fait, la haute hiérarchie de l’époque ne voulait pas gérer une crise qui serait liée à la détention et à l’humiliation d’un Prélat de l’Eglise catholique.
En 1997, après la chute de l’ancien régime, des institutions telles que le Haut-Conseil de la République – Parlement de Transition et la Garde civile disparurent. Je fus convoqué au Ministère des Affaires Intérieures pour organiser la nouvelle police nationale, créée à partir de Goma, en avril la même année, par l’Alliance des Forces Démocratiques pour la Libération du Congo (AFDL).
Le mardi 3 juin 1997, je pris mes nouvelles fonctions au sein de la Commission chargée de la création de la PNC et en même temps au sein du cabinet de l’Inspecteur général de la PNC, le Général Célestin Kifwa, un ancien de l’Institut Pédagogique National, comme Mwanamputu.
C’est à partir de là que j’eus à monter le service de communication de la PNC et que démarra, à la radio et plus tard à la télévision, l’émission de la police nationale connue sous le nom emblématique « Et maintenant la police … ».
Dans l’immeuble que nous occupions en face des bureaux de l’Inspecteur Général de la PNC, il y avait deux services que je coordonnais, à savoir d’une part : la Presse où furent affectés les Généraux Tariel, Mwanamputu, Wasongolwa et d’autres braves patriotes, et d’autre part le Service Central de Criminologie (avec les Généraux Galenga, Amisi, Mukuna Eddy, Nsukami, et les Colonels Dikitele, Dingo, Kassa et d’autres encore).
Avec certains d’entre eux, j’avais aussi organisé le bureau de liaison de la PNC avec le Ministère de l’Intérieur et sécurité. Ce qui nous permit d’assurer le suivi des entreprises de gardiennage et aussi de coordonner la Commission Permanente de Sécurité, mise en place au lendemain de l’attaque de la ville de Kinshasa, du 02 août 1998. Ils furent ainsi associés aux réunions des commissions mixtes de sécurité avec l’Angola et le Congo-Brazzaville, voire le Soudan de l’époque.
Après mon départ de la PNC en 1999, je rejoignis le Ministère de la Défense pour les travaux de la réforme des forces armées, en pleine guerre d’invasion. Je fus alors le rapporteur de la commission chargée de l’élaboration des projets des lois sur l’organisation générale de la défense, le code judiciaire militaire et le code pénal militaire de 2002. Ces projets furent adoptés par l’Assemblée Constitutive et Législative – Parlement de Transition (ACL-PT), qui siégeait à Lubumbashi, ville où je venais d’être nommé en qualité de XVè Recteur de l’Université de Lubumbashi.
Des années s’écoulaient, chacun évoluait selon son charisme propre, et Pierrot Mwanamputu continuait à faire ses marques comme Directeur de la communication sociale de la PNC. Dans le cadre des travaux de la réforme, il fut désigné Coordonnateur du Groupe de travail chargé de l’information et de la communication, au sein du CSRP (Comité de suivi de la réforme de la police). Alors qu’il avait étudié le français et la linguistique à l’IPN, il avait décidé de parfaire ses connaissances en s’inscrivant en droit à l’Université Protestante au Congo (UPC). Il obtiendra son diplôme de Licencié en droit, option droit privé et judiciaire en 2008, année de mon retour à Kinshasa. Il avait pris soin de venir me présenter son volumineux et imposant mémoire.
En 2012, je retrouve le Ministère de l’Intérieur et sécurité en qualité de Directeur de cabinet. Le Colonel Pierrot Mwanamputu, confirmé Porte-parole de la PNC, sera toujours en contact avec le Ministère et contribuera à sa manière à la préservation de l’image de marque du Ministère et de celle de la police, à la pleine satisfaction des différents ministres, quels que furent leurs noms : Muyej, Boshab, Shadary ou Mova. Après avoir quitté le Ministère en 2019, je continuais à entendre avec plaisir, à laradio et la TV, la sonorité de sa voix perçante et parfois grésillante.
Il aura été d’une constance exemplaire vis-à-vis de la République, un gardien de la paix et un protecteur de l’ordre public. Son franc-parler égratignait parfois la sensibilité et la susceptibilité de tel ou tel supérieur, avec d’ailleurs quelque conséquence malheureuse sur sa promotion en grade, lors du mouvement opéré en 2021. Et pourtant je n’avais jamais cessé de lui rappeler qu’ « un adulte portant la barbe n’approche pas son nez de la glu », c’est-à-dire de ne pas prêter le flanc aux adversaires. Lui, il était cousu d’une seule étoffe et ne cédait jamais aux intimidations ni à la compromission, en dépit des vents qui agitaient les espaces politiques. Il était un homme droit, qui respectait l’autorité sans jamais la craindre, obéissait aux lois sans courber l’échine.
Il méritait bien son nom de Manamputu, l’enfant de la civilisation et le fils de la modernité, à ne pas confondre avec les acculturés d’Europe ! En tant que Nkut’Nza, il était en fait magnifié comme l’homme important, la personne qui compte. C’était toute la symbolique reprise par son postnom Empung, en référence à un grand oiseau qui vole de nuit, avec beaucoup d’habileté, c’est-à-dire un homme distingué et important, sans intrigue ni mesquinerie. Voilà pourquoi il était difficile, si pas impossible, de l’étouffer.
Profondément croyant et pratiquant, il avait longtemps évolué au sein de l’église kimbanguiste, avant d’opérer une migration vers le Ministère Olangi. Il prit le prénom d’Ezéchiel, qui signifie «Dieu réconfortera », pour exprimer un appel adressé au Seigneur pour qu’il le fortifie sans cesse. Sur les antennes de la RTNC, le Commandant Pierrot était désormais devenu, même pour sa belle-famille, le Frère Ezéchiel, une manière saine de marquer son cheminement et sa maturation dans la foi chrétienne.
Quant à moi, pris dans l’attente interminable de ce jour d’hommage ultime, depuis deux mois jour pour jour après ta disparition à Bruxelles, le 11 mai 2024, j’ai cherché une maigre consolation dans un vieux propos de mon grand-père qui disait : « la dépouille mortelle d’un vaurien, on l’enterre de grand matin », et que donc pour le Général, un grand homme, cela devrait prendre du temps. Ce temps au cours duquel le VPM en charge de l’Intérieur, sécurité et affaires coutumières a pu se déployer pour débusquer une solution dans un environnement financièrement délétère pour la PNC.
Ce temps, ce fut aussi l’instant de prendre à cœur les demandes répétées de la Police et de l’ensemble des services de sécurité pour une amélioration de leur prise en charge. La loi n° 22/019 du 28 juillet 2022 portant programmation militaire 2022-2025 prévoyait en son article 24 la création d’une clinique spécialisée, mais cela est resté lettre morte jusqu’à ce jour. Il n’y a même aucun signal donnant l’impression que cela pourrait advenir bientôt.
Pour moi, aujourd’hui, le Général Mwanamputu est toujours ce jeune homme que j’avais connu, cet officier de renseignement hors pair, cet analyste de sécurité de haut potentiel, cet expert en fiscalité, ce communicateur distingué de la PNC, que nous appelions affectueusement Orient.
Bien cher Orient, à l’instar du soleil, tu t’es couché à l’Occident. Nous avions été enterrer le Conseiller Vuvu à Kasi, dans les dix secteurs au pays des Manianga. Nous te conduirons aujourd’hui vers ta dernière demeure en terre congolaise, sur le plateau des Bateke. Tu as rejoint Itambo Kabangu, Vuvu Luthelo, Kikoy Waya, Baruku Alimasi, Odra Omuko, Ngimbi Bitshiama, Ekutshu Mambulu, Vungbo Ndebo, Divwa Dinzila, Kongolo Omba Carole, Nyembo Kavungu, et bien d’autres encore qui nous ont précédés au village des ancêtres.
Pour nous, tes ainés, tes frères et tes amis, les paroles des anciens de Mukulu Batshamba résonnent encore dans nos oreilles : « bùs kapfa, ngwoy kanun » (devant, c’est la mort ; derrière c’est la vieillesse). Quand notre heure sonnera, nous entreprendrons aussi le voyage de l’au-delà sans colère ni amertume. Nous avons honoré la République et salué les emblèmes avec dignité dans la Garde civile et la Police Nationale. Notre seul vœu est de voir la République nous reconnaître ce que nous avons mérité.
Nous demandons donc au Seigneur de consoler ton épouse et nos enfants, de réconforter toute la famille, ainsi que de convertir nos dirigeants pour qu’ils témoignent davantage de compassion envers la souffrance qu’endurent les policiers et leurs familles, car, selon le conseil de mon grand-père, celui qui envie de manger de bonnes chenilles des forêts galeries et des savanes de chez nous au Secteur Lukamba, dans le Territoire de Gungu et en Province du Kwilu, qu’il ne mette pas le feu à la brousse où on les ramasse.
Mon cher Orient, tu es passé à l’Ouest de la vie, vas en paix.
Mon Général, que la terre de nos ancêtres te soit aussi douce que légère.
Professeur KAUMBA Lufunda Prince
Membre de l’Académie congolaise des sciences
Recteur Honoraire de l’Unilu
Sénateur Honoraire
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