Par le Professeur KAUMBA Lufunda, Sénateur élu du Lualaba
Membre Titulaire de l’Académie Congolaise des Sciences
Initiateur de la proposition de loi sur la transplantation d’organes, de tissus ou cellules du corps humain
UN ELU N’A PAS POUR MANDAT D’ABRUTIR SON ELECTORAT
A propos de la loi sur la transplantation d’organes en RD Congo
Depuis ce mercredi 12 juillet 2023, il circule une vidéo dans laquelle un Honorable député national s’adresse à des militants de son parti (Lisala, le 25 janvier 2023) et leur fait part d’une intervention fatidique qu’il avait faite au cours d’une plénière de l’Assemblée nationale (le 23 novembre 2022). Il déclare avoir argumenté vigoureusement contre l’adoption d’une proposition de loi, déjà votée au niveau du Sénat, et qui était relative à la transplantation d’organes. Il déclare ce qui :
« Il y a une loi qui était passée au Sénat et à l’Assemblée nationale, si un Congolais n’est pas inscrit dans une liste quelconque, c’est-à-dire après sa mort, ses organes (foi, poumons, reins, cœur), peuvent être vendus. Quand cette loi est venue, j’ai dit au président que cette loi est une loi des bandits. Si cette loi était passée, on allait vendre les organes partout … ».
Une glose d’un blogueur précise :
#RDC: En décembre 2021, le Sénat a voté la proposition de la loi portant transplantation des organes, de tissus et de cellules des corps. Une proposition du sénateur Prince Kaumba Lufunda. Celle-ci a été bloquée au niveau de l’assemblée nationale. En janvier 2023, le député @DSESANGA a expliqué pourquoi il s’était opposé à cette loi. J’ai l’impression de mieux comprendre certains non-dits du récent procès en flagrance. Notons que ces images sont tirées d’une conférence tenue le 25 janvier 2023 à Lisala. Wait and see
On peut se rendre à l’évidence de la gravité des propos tenus par l’Honorable député lorsque des gens en viennent à croire qu’il leur a apporté de la lumière en rapport avec le débat en cours sur les enlèvements, les assassinats et le trafic d’organes, tout en traitant de « bandits » les initiateurs de la proposition de loi relative à la transplantation.
Sans vouloir emprunter le registre des injures, ni engager des futiles, altercations, j’aimerais simplement exercer ma profession d’enseignant et de pédagogue, et commencer par évoquer ce qu’aurait dit mon grand-père en pareille circonstance : « quand le sorcier veut manger quelqu’un, il jette des épines sur la route pour empêcher le guérisseur d’aller protéger cette personne ».
En Afrique en général, les périodes électorales sont des contextes très propices à la perpétration des actes barbares de sacrifices rituels : enlèvements d’enfants, mutilations de cadavres, assassinats d’albinos, décapitation de chauves, etc. Il y a de quoi s’interroger sur les motivations de certains politiciens qui se liguent pour combattre une pratique médicale dont les succès forcent l’admiration vis-à-vis des mérites de la science et de nouvelles technologies. Face à des compatriotes malades et de leurs familles éplorées, des députés leur répondent : allez vous faire soigner à l’étranger comme nous, car ici il y a des éventreurs et des mangeurs de chair humaine.
Ma mise au point va cependant se focaliser sur 5 aspects :
- La pratique de la transplantation n’est pas interdite par la loi congolaise
Qu’il s’agisse de la Constitution en son article 202 point 36 litera m ou des articles 64 à 66 de La loi n°18/035 du 13 décembre 2018 fixant les principes fondamentaux relatifs à l’organisation de la santé publique, aucune disposition n’interdit la pratique de la transplantation dans notre pays. Mais alors, de quoi se félicitent ceux qui jouent au triomphalisme ? Simplement d’avoir facilité le désordre dans le secteur en jetant le discrédit sur cette pratique thérapeutique majeure ?
En effet, la loi soumise au parlement ne visait nullement à autoriser une pratique qui n’est pourtant pas interdite, ce qui ne servirait à rien ; mais, plutôt à encadrer la pratique de la transplantation, à fixer les procédures, à délimiter les responsabilités des uns et des autres, à déterminer un régime de sanctions, à protéger les patients contre d’éventuelles manœuvres d’escroquerie, à garantir le respect de l’homme et de son corps, à faire respecter scrupuleusement les principes majeurs de gratuité, de consentement et d’anonymat.
C’est dire qu’à ce jour et à la suite du blocage auquel l’honorable Sesanga a contribué, les formations médicales qui en ont les équipements et les professionnels de santé qui le veulent, peuvent allégrement procéder à des greffes, sans que l’on ne soit en mesure d’identifier les fautes qu’ils auraient commises, ni les sanctionner car il ne peut exister de peine ni d’infraction sans loi ! Aujourd’hui, si un médecin procède au prélèvement et à la transplantation d’un rein, il ne peut être poursuivi en justice. Si vous vendez un de vos reins à un demandeur, les juges ne disposent d’aucune sanction pour punir ce commerce.
Un député fort empathique avait eu raison de le rappeler avec beaucoup de lucidité : « Quand tu échoues de planifier, tu planifies l’échec. Le refus de légiférer sur une pratique qui risque de dégénérer, c’est faire comme si l’absence de loi allait arrêter la pratique ».
- Pour la transplantation, on ne s’approvisionne pas dans les morgues
Les écuries hostiles à l’adoption d’une loi régulant la pratique de la transplantation dans notre pays, s’emploient à faire croire délibérément que les morgues seraient les lieux privilégiés de prélèvement des organes à transplanter. L’exemple le plus simple est celui de la transfusion sanguine, qui est aussi un acte de transplantation de cellules humaines. Ce n’est pas à la morgue, ni sur des cadavres que l’on prélève du sang à transfuser. Les abus régulièrement dénoncés en rapport avec la transfusion sanguine n’ont jamais milité en faveur de la suppression de toute réglementation y relative. Bien au contraire, les lois et règlements sont des garde-fous précieux.
Pour les organes comme le foie, le cœur, les poumons ou les reins, les prélèvements s’effectuent généralement sur des corps en état de mort cérébrale, alors que le système est encore maintenu en fonction ; encore sur des corps qui viennent à peine de cesser de vivre, mais dont les organes sont encore en état de fonctionner. Il existe ainsi des délais au-delà desquels on peut conserver un organe prélevé, en vue de sa greffe dans un autre corps : c’est le temps de l’ischémie.
Ce serait de la filouterie de faire croire à la population que n’importe qui peut prélever des organes, les transporter dans un sachet et les vendre à des fins de transplantation. Où met-on les simples règles d’hygiène nécessaires pour la préservation de la qualité des organes à transplanter ? D’ailleurs un de mes anciens élèves de l’école de police m’a fait remarquer dans les cas d’assassinats survenus suite à des actes d’enlèvements, qu’il n’y a pratiquement pas eu de signalement d’ablation d’organes. A Lubumbashi, par exemple, les morts trouvés dans des sacs avaient subi des sévices, mais pas de mutilation d’organes. Quand on signale des cas de mutilations à Kinshasa, ce n’est pas pour effectuer des livraisons auprès des formations médicales.
- Exorciser le spectre de la vente d’organes
Lors de la séance plénière de l’Assemblée Nationale, du mercredi 23 novembre 2022, l’honorable député avait évoqué la nécessité de faire prévaloir le principe de prudence, tout en qualifiant la proposition de loi d’être un chapelet de bonnes intentions, ne tenant pas compte du contexte actuel de la RDC (faiblesses, absence de garanties de respect des exigences éthiques, dysfonctionnement de la justice, risque élevé de marchandisation des organes), accroissant le risque d’esclavage et de traite des personnes. Pour lui, cette législation était prématurée, et elle nécessitait comme préalable la formulation d’un Plan national de gestion des risques, de formations et d’acquisition des équipements.
Le vrai contexte est que pratiquer la transplantation en RDC n’est pas interdit par loi congolaise. Prétendre faire preuve de prudence en bloquant l’encadrement légal de cette pratique, c’est comme si l’on supprimait le Code de la route au motif qu’il favoriserait et accroîtrait les accidents de circulation. S’en prendre véhément à une loi qui condamne la vente d’organes et permet de traquer d’éventuels malfaiteurs, et prétendre qu’on fait montre de prudence, ce n’est ni plus ni moins que jouer à fond le jeu des trafiquants, en les mettant à l’abri des poursuites.
Le trafic d’organes n’est pas à confondre avec le trafic des stupéfiants. Il s’agit d’abord et avant tout de la vente d’organes par les donneurs eux-mêmes, puis de la vente par des médecins, et subsidiairement de la vente par des réseaux criminels impliquant des médecins. Le cas d’un container plein d’organes génitaux masculins (7.000) parti du Nigéria vers la Chine, est une fausse nouvelle tissée autour de fantasmes alimentés par diversité des registres de substances aphrodisiaques d’origine animale tant prisées par fornicateurs de l’Orient, à l’instar des défenses d’éléphants ou des cornes de rhinocéros.
Le commerce des produits du corps humain étant strictement interdit, la loi sur la transplantation veille à combattre toutes les pratiques susceptibles de porter atteinte aux principes d’anonymat, de consentement libre et de gratuité des dons. La question a même été abordée lors du 3ème Congrès eucharistique national organisé par l’Eglise catholique à Lubumbashi, du 3 au 11 juin 2023. Il n’y a pas d’amour plus grand que celui de donner sa vie pour ceux que l’on aime (Jn 15,13). L’Eglise catholique, l’Islam et le judaïsme soutiennent et encouragent le don d’organes pour sauver des vies humaines.
- Le sens du don, de la gratuité et de la générosité
S’agissant du volet culturel, les experts ont élaboré un Manifeste, qui explicite notre vision en tant que peuple de civilisation bantu. Toutes les civilisations du monde ont eu à exprimer des réticences et à opposer des résistances face à l’introduction des pratiques de transplantation et de dons de cellules, tissus et organes du corps humain. La résistance actuelle est compréhensible, mais elle sera surmontée et est déjà en train de l’être.
Tous les peuples qui ont bénéficié des évolutions de la science et de la technologie, se sont aussi adaptés par rapport à leurs propres cultures en y intégrant cette nouvelle donne.
Et chez nous Afrique, la vie est conçue comme un don qui se transmet de génération en génération. L’essentiel demeure pour nous l’obligation de transmettre la vie, car la vie est précieuse et les morts ne règnent pas, nous enseigne la tradition. C’est pourquoi mon grand-père ne cessait de répéter son testament : « quand je mourrai, ne cessez pas de battre le tam tam », une instruction claire pour nous dire d’assurer le relai de la vie. « Battez toujours du tam tam ».
Si, au premier abord, de nombreux congolais frémissent en apprenant que l’on peut les encourager à faire don d’un organe de leur vivant ou après leur mort, c’est parce qu’ils se mettent spontanément dans la position de donneur éventuel. Or, lorsqu’on les invite à se placer dans la position d’un receveur éventuel, alors généralement, ils réfléchissent et relativisent leur énervement. C’est ainsi que l’on dénombre plusieurs cas de dons d’organes, qui sont réalisés par des donneurs congolais au profit des membres de leurs familles. Déjà, au début des 1980, plusieurs enfants congolais drépanocytaires, avaient bénéficié des greffes expérimentales de la moelle osseuse et ils se portent tous très bien jusqu’à ce jour.
- L’exigence d’une expertise et la mise à niveau des équipements appropriés
Les inquiétudes formulées en ce qui concerne l’existence en RDC de chirurgiens formés en matière de transplantation et la disponibilité d’équipements appropriés, sont compréhensibles et légitimes. Toutefois, nous pouvons rassurer les nombreux sceptiques qu’il existe un certain nombre de professionnels de santé bien formés et ayant suffisamment pratiqué la greffe à l’étranger. Ils ne sont pas légion, mais ils peuvent tenir des services tant à Kinshasa qu’à Lubumbashi, et même dans d’autres villes.
Pour le moment, ils se contentent d’assurer le suivi des patients greffés à l’étranger, après y avoir organisé des transferts médicaux vers des cliniques spécialisées.
S’agissant des équipements, il n’est point besoin de s’inquiéter outre mesure, car la loi prévoit que les formations médicales éligibles à la pratique de la greffe devront au préalable justifier d’un plateau technique adéquat. En plus, des organes prévus par la loi, notamment le Comité National de Transplantation, seront chargés d’élaborer des protocoles obligatoires et de déterminer les plateaux techniques requis.
Entre la promulgation de la loi et la réalisation des premières greffes, il s’écoulera forcément un certain temps d’ajustement. Dans le cadre de la coopération interuniversitaire, certaines offres d’équipements et de partenariats ont été proposées à nos universités, mais sous réserve de la promulgation de la loi sur la transplantation, afin de garantir des standards éthiques requis, dont le registre du refus fait d’ailleurs partie.
En cette matière comme en bien d’autres, la sagesse de mon grand-père nous enseigne que : « c’est en marchant que l’on apprend à marcher ».
Conclusion
La sortie médiatique de l’honorable député, quoique populiste, nous aura quand même offert l’opportunité de rencontrer certaines interrogations et préoccupations que formulent bien de nos compatriotes en rapport avec l’adoption d’une proposition de loi relative à la transplantation d’organes, tissus ou cellules du corps humain.
C’est l’occasion de rappeler à tous ce propos d’un haut magistrat de la République : « un élu n’a pas pour mandat d’abrutir son électorat ». Si les collègues députés va-t-en-guerre avaient eu de la patience et fait montre de prudence, ils auraient accordé à la Commission socio-culturelle de l’Assemblée nationale, qui avait examiné le texte en profondeur et sans passion, le temps et l’occasion de répondre à leurs questions et observations ; nous n’en serions pas là aujourd’hui, en train d’assister à la propagation d’idées erronées et à l’alimentation de la psychose au sein de la population.
Le débat ayant été relancé, dans un contexte électoral malheureusement propice à des sacrifices rituels, les experts en matière de bio-éthique sont prêts à rencontrer les honorables députés pour un échange constructif, pouvant leur permettre d’avoir une vision plus éclairée sur l’ensemble des questions liées à la transplantation. Rien ne nous permet de douter de leur bonne foi, quant à ce. Et c’est pourquoi, nous ne nous permettrons pas de leur rappeler cet adage de mon grand-père : « quand le devin n’a pas de solution, il déclare qu’il n’a pas apporté ses habits de cérémonie ».
La psychose du moment montre à quel point il est urgent de légiférer en la matière, sans s’armer de faux-fuyants, et sans atermoiements préjudiciables à la santé de la population.
Lubumbashi, le 15 juillet 2023,
jour anniversaire de ma naissance
Professeur KAUMBA Lufunda
Sénateur élu du Lualaba
Membre Titulaire de l’Académie Congolaise des Sciences
Initiateur de la proposition de loi sur la transplantation
d’organes, de tissus ou cellules du corps humain