Dans un article au vitriol écrit en juin 2021 et rediffusé aujourd’hui face à la décision du parlement d’aligner une proposition de loi ordinaire, le Professeur des Universités Mpoy-Kamulayi Lumbala Tshiamanyangala, théoricien et praticien du Droit récuse l’eugénisme politique qui entoure le débat autour de ce qu’il convient d’appeler la notion de « la congolité », dans le but, dénonce-t-il, de « modifier subrepticement la portée des articles 10 et 72 de la Constitution ».REMAKE.
Ci-dessous la Position du Professeur Mpoy-Kamulayi Lumbala Tshiamanyangala sur le débat en cours sur la notion de « congolité ».
Interdire l’accès a la Présidence de la République et aux fonctions dites de souveraineté aux compatriotes nés de père étranger ou de mère étrangère constituerait une forme d’eugénisme politique en République Démocratique du Congo
Position du Professeur Mpoy-Kamulayi Lumbala Tshiamanyangala sur le débat en cours sur la notion de « congolité »
Le Professeur Mpoy-Kamulayi est le Fondateur de l’ASBL Rassemblement des Acteurs de la Renaissance du Congo dont la mission consiste à travailler en amont et en aval de notre société pour éveiller la conscience de nos compatriotes sur la nécessité de prendre le destin de notre Nation entre nos propres mains en nous aimant les uns les autres comme Dieu nous aime et comme nous devons aimer le Congo notre Patrie. Il enseigne le Droit financier à l’Université de Kinshasa, il est 1er Vice-Président Diocésain du Mouvement des Professeurs Catholiques, Avocat au Barreau de Kinshasa/Gombe et ancien Président de la Société des Fonctionnaires Africains du Groupe de la Banque mondiale et du Fond Monétaire International.
Professeur Mpoy-Kamulayi Lumbala Tshiamanyangala
« Our lives begin to end the day we become silent about the things that matter » ; cette phrase qui est communément attribuée à Martin Luther King peut être traduite en français comme suit : « nos vies commencent à s’éteindre quand nous gardons le silence sur les choses importantes ».
En 1867, John Stuart Mill déclara ce qui suit : « Bad men need nothing more to compass their ends, than that good men should look on and do nothing. He is not a good man who, without a protest, allows wrong to be committed in his name, and with the means which he helps to supply, because he will not trouble himself to use his mind on the subject ».
Je me permets de traduire cette citation comme suit : « les mauvaises gens n’ont besoin de rien d’autre pour atteindre leurs objectifs que de voir les hommes de bien demeurer passifs et inactifs. N’est pas un homme de bien celui qui ne proteste pas face à un mal qui est commis en son nom et grâce aux moyens qu’il facilite de livrer grâce à son indifférence parce qu’il préfère sauvegarder sa propre quiétude plutôt que de mettre son intelligence a contribution afin d’empêcher le mal de s’étendre ».
Je pense que le débat qui est actuellement en cours dans notre pays sur la notion dite de « congolité » constitue un de ces moments nationaux qui ne peuvent manquer d’interpeller la conscience de tout homme et de toute femme de bien pour l’amener à s’interroger, au regard des exhortations sus évoquées de Martin Luther King et de John Stuart Mill, sur la nécessité pour lui ou pour elle de s’exprimer et de prendre position plutôt que de s’abriter soigneusement et délicatement dans le confort du silence.
Pour ma part, j’ai décidé que le moment présent et les enjeux soulevés par le discours tonitruant sur la « congolité » (qui est initié et porté par une personne motivée exclusivement par des aspirations et des ambitions surdimensionnées d’assumer la direction de notre pays) sont trop importants pour que je puisse me contenter de m’emmurer dans un silence prudent mais assurément complice. Je sais, en âme et conscience, que d’aucuns souhaitent fortement que je me taise comme la plupart le font très prudemment depuis le début de ce débat dont plusieurs se complaisent à prédire d’ores et déjà l’issue finale. Cela me répugne purement et simplement.
Le devoir moral de m’exprimer sur le sujet de la « congolité » découle du concours de plusieurs facteurs parmi lesquels il faut compter ce qui suit : i) mon éducation en tant qu’ancien aspirant à la vocation sacerdotale ; ii) ma formation de juriste accompli, enseignant du Droit et praticien au Barreau de Kinshasa/Gombe ; iii) ma longue carrière au sein de la Banque mondiale où j’avais notamment eu le privilège de servir comme Président de la Société des Fonctionnaires Africains du Groupe de la Banque mondiale et du Fond Monétaire International ; et iv) mon rôle et les responsabilités qui m’incombent en tant que leader de RAREC/ASBL. Tout bien considéré, l’ensemble de tout ce qui précède m’impose le devoir de partager avec mes concitoyens la portée de ma réflexion sur une question aussi essentielle qui suscite d’ores et déjà la zizanie au sein de notre peuple.
En effet, face à l’ampleur des enjeux en présence, j’estime que chacun de nous a le devoir de contribuer, dans la mesure de ses moyens et de ses facultés, à défendre l’égalité de tous, à soutenir la justice pour tous, et à préserver l’harmonie et la cohésion sociale au sein de notre Nation. Chacune de ces valeurs essentielles et fondamentales pour une société civilisée est présentement mis en danger par les activistes de la congolité.
Peut-il y avoir une plus grande injustice que de punir les enfants d’une même nation et les discriminer entre eux à cause du péché de leurs parents ?
Si nous demeurons collectivement passifs, l’activisme tous azimuts que l’initiateur de la « congolité » ne cesse de déployer depuis quelques semaines déjà aboutira à sa conclusion logique. En vertu de ladite logique, se permettre d’épouser un étranger ou une étrangère alors que l’on est congolais sera alors dorénavant un péché grave qu’aucun prêtre ne pourra jamais absoudre. Tous les enfants qui naitront subséquemment des mariages ainsi indexés seront alors punis à perpétuité pour le péché de leurs parents.
Eh bien, c’est exactement ce que le propagateur de la « congolité » a clamé haut et fort, avec un dédain et un mépris qui rappellent froidement la férocité d’Hitler, quand il a osé déclarer tout haut qu’ à l’instar de tout enfant qui serait né d’une union légitime entre un congolais ou une congolaise avec un étranger ou une étrangère, les milliers d’enfants congolais engendrés par des soldats onusiens venus dans notre pays pour maintenir la paix doivent se voir interdire catégoriquement tout accès à la charge de Président de la République et à toute autre fonction régalienne parce qu’ils constituent des traitres virtuels pour notre pays.
Depuis bientôt trois semaines, une agitation remarquable a capturé l’attention de nos compatriotes, toutes catégories confondues, au sujet d’une prétendue proposition de loi qu’un ancien candidat aux élections présidentielles de 2018 clame à cor et à cri avoir soumis au parlement en vue de réviser l’article 72 de la Constitution pour barrer l’accès à la Présidence de la République et aux autres fonctions dites régaliennes aux compatriotes dont l’un des géniteurs ne serait pas congolais d’origine.
Le propagateur de cette idée (qui contient des relents du fascisme allemand et du maccarthisme américain) tente de l’enrober maladroitement sous le vocable de “congolité” afin de jouer sur la sensibilité patriotique de nos concitoyens.
Sans offrir la moindre des preuves sur un quelconque péril imminent contre la souveraineté de notre Nation, Monsieur Noël Tshiani a fait la ronde des plateformes médiatiques traditionnelles aussi bien que virtuelles pour vociférer que tout compatriote né d’un père étranger ou d’une mère étrangère serait un traitre potentiel et constituerait un danger imminent, sévère et inacceptable pour la survie de notre Nation, si jamais un tel compatriote pouvait être élu à la magistrature suprême de notre pays.
La notion dite de la « congolité » parait de toute évidence mimée et plagiée sur celle dite de l’ivoirité dont les contours épistémologiques demeurent à ce jour encore assez sulfureux et ténébreux.
On sait, en effet, on sait que l’invocation de l’ivoirité en Côte d’Ivoire prit une ampleur particulièrement virulente à la suite du décès du Président Houphouët Boigny qui, durant son règne de 33 ans à la tête de la Côte d’Ivoire, avait adopté une politique très libérale à l’égard des étrangers, notamment de nombreux ressortissants des pays avoisinant la Côte d’Ivoire qui s’y s’étaient installés massivement et qui avaient, au cours des années, acquis dument légalement la nationalité ivoirienne.
Lorsque Houphouët-Boigny mourut en 1993, une intense compétition pour lui succéder sur le fauteuil présidentiel éclata entre Henri Konan Bédié et Alassane Ouattara. Pour se débarrasser de ce concurrent gênant, Bédié mit en exergue le concept de l’ivoirite en accusant Ouattara de ne pas être ivoirien à 100 pour-cent. Le code électoral et la Constitution de la Côte d’Ivoire furent promptement révisés à cet effet ; Ouattara fut mis hors course mais une guerre civile s’en suivit.
Il n’y a donc l’ombre d’aucun doute que la décision que Bédié avait prise en 1999 de recourir à la notion de l’ivoirité à des fins électoralistes constitue la pierre angulaire de la démarche fascisante sur laquelle la notion de « congolité » est conçue et présentée comme la branche de salut national dans la perspective du cycle électoral de 2023 qui approche très rapidement.
Le texte de la loi congolaise relative à la nationalité est relativement court; sa compréhension est à la portée de toute personne instruite qui veut se donner la peine de le lire attentivement.
J’espère que la lecture de notre loi sur la nationalité congolaise permettra aux uns et aux autres d’évaluer en pleine connaissance de cause les véritables enjeux du débat actuel sur la soi-disant “congolité” étant donné que ce concept demeure présentement creux et dépourvu du moindre contenu ou d’une quelconque substance épistémologique.
A mon humble avis, s’il faut donner une quelconque substance épistémologique au terme “congo lité”, il est inconcevable que celle-ci ne puisse consister que dans le seul fait d’être né d’un père congolais et d’une mère congolaise.
À titre d’exemple, il serait utile de se référer notamment au terme “francité” tel qu’il est défini par le dictionnaire de la langue française; on se rendra bien compte qu’aucune référence n’y ait faite à un quelconque taux de parenté lié à la possession de la nationalité française. La francité est tout simplement défini comme « les caractères propres à la culture française, à la communauté de la langue française ».
Si nous voulons élever le débat sur une quelconque notion de “congolité” pour notre pays, celle-ci doit recevoir une substance épistémologique et un contenu sociologique totalement déconnectés du lien de sang dans le chef de quiconque choisit de passer toute sa vie au Congo, indépendamment du fait qu’il détiendrait ou non un passeport congolais. Le cas de nombreux prêtres et missionnaires protestants mariés ainsi que leurs enfants qui ont choisi de passer toute leur vie au Congo devrait nous édifier à cet égard.
La nationalité est un concept juridique dont l’essence consiste à rattacher un individu à un État-Nation. Ce concept ne peut, et ne doit en aucune manière, être confondu avec le concept de tribu ou de clan qui rattache un individu à une communauté restreinte dont tous les membres ne sont unis que par les liens du sang.
En effet, c’est la prééminence du lien sanguin qui fait que l’appartenance à un clan est assurée exclusivement par un mariage dûment consacré selon les exigences du droit coutumier du clan des époux. Il en découle que les enfants nés en dehors des liens du mariage devenaient automatiquement les membres du clan de leurs mères.
Au contraire, la “congolité” ne peut être qu’un concept sociologique dont la substance consisterait à mettre en exergue les éléments et caractéristiques de vie commune qui marqueraient et distingueraient les personnes qui se sentent intimement liées dans un destin commun du fait de leur association intime avec le territoire congolais.
Ainsi donc, pour que l’idée de “congolité” puisse devenir un concept utile et une valeur positive pour notre communauté nationale, il est impératif que cette idée soit totalement divorcée de la nature étriquée et électoraliste que Monsieur Noël Tshiani cherche à lui imprimer coûte que coûte en mimant la démarche ivoirienne dont le fiasco a été notoire.
Conçue comme une tactique électoraliste, l’idée de “congolité” contient des relents fascistes qu’il convient de dénoncer et d’éviter à tout prix d’inclure dans notre arsenal juridique.
Les propos tenus récemment par le Secrétaire Général de l’Union pour la Démocratie et le Progrès Social sont encourageants; ils suggèrent en effet que le parti politique qui se trouve à la tête de l’Union Sacrée de la Nation a d’ores et déjà pris toute la mesure du gâchis qu’une politisation de la filiation de nos compatriotes (au sens juridique du terme) à des fins électoralistes est susceptible d’entraîner au regard de la cohésion nationale dont notre pays a tant besoin.
Au demeurant, face aux exigences de l’article 219 de la Constitution qui interdit toute révision de celle-ci durant la période de l’état de guerre, de l’état d’urgence et de l’état de siège, il serait totalement mal venu d’entamer une quelconque discussion parlementaire sur une quelconque idée de “congolité” visant à réviser l’article 72 de la Constitution alors que notre pays se trouve présentement en état de siège.
En outre, la troisième vague de la covid-19 qui s’aggrave dans notre pays jour après jour est aussi susceptible de conduire le gouvernement à proposer la déclaration d’un nouvel état d’urgence comme cela a été observé dans plusieurs autres pays du monde tout au cours de cette pandémie dont les rebondissements intermittents s’avèrent imprévisibles.
Au vu de toutes ces contingences, nous espérons vivement que nos leaders politiques dans leur globalité apprécieront à sa juste valeur cet appel que nous lançons en notre qualité de théoricien et de praticien du droit qui se préoccupe hautement de contribuer autant que faire se peut à promouvoir la sauvegarde des droits de chacun et de tous afin de préserver l’harmonie et la cohésion sociale dans notre pays.
Aucun de nous n’a choisi ni son père ni sa mère; et encore moins le pays qui l’a vu naître car c’est dans le pays de sa naissance que se trouve véritablement l’origine de chacun de nous.
Avant d’accréditer la notion de « congolité » à des fins purement électoralistes, il me paraît utile de nous pencher attentivement sur le cas suivant.
Le 4 août 1961, un enfant dénommé Barack Hussein Obama naissait à Honolulu. Le père de cet enfant était un étudiant Kenyan qui s’était rendu à Hawaï pour y poursuivre ses études universitaires. Si le sort avait envoyé le père de cet enfant à l’Université Lovanium, Barack Obama pouvait probablement naitre d’une étudiante congolaise que son père aurait pu rencontrer à l’Université Lovanium.
C’est tout simplement le hasard du sort qui le fit naitre à Honolulu plutôt que nulle autre part ailleurs. 48 ans apres sa naissance, Barack Obama a pu accomplir l’exploit d’être devenu le 44eme Président des États-Unis d’Amérique.
Face au propagateur zélé du concept de la congolité et face à tous ceux qui le soutiennent, il y a lieu de nous poser honnêtement la question suivante : les États-Unis d’Amérique se sont-ils mal tirés du fait que le père de l’enfant prodige nommé Obama ne possédait guère la nationalité américaine ?
Mais si le sort avait envoyé le père de Barack Obama ailleurs plutôt qu’à Hawaï, et qu’il avait atterri par exemple à Kinshasa plutôt qu’à Honolulu, Dieu seul sait ce qu’il en serait advenu de Barack Obama à ce jour.
Je m’en voudrai aussi de ne pas évoquer ici la démarche dite de l’authenticité qui fut imposée à notre pays en son temps par le Maréchal-Timonier et les multiples séquelles négatives que notre pays en avait encaissé comme résultats et dont nous continuons certainement à faire les frais jusqu’à ce jour.
Voilà pourquoi, je nous exhorte, chers compatriotes à être des hommes et des femmes de notre temps afin de réfléchir et d’agir autrement que les hommes et les femmes des générations qui nous ont précédés et qui ont jeté notre pays dans le gouffre dont nous continuons à peiner de sortir jusqu’à ce jour.
Pour terminer, je crois qu’il est impératif que nous condamnions tous collectivement et fermement le comportement indigne qu’un nombre croissant de nos compatriotes exhibent ces derniers temps en abusant de leur liberté d’expression notamment à travers l’usage des réseaux sociaux ainsi que des appels téléphoniques ciblées pour injurier et menacer de mort les journalistes ainsi que toute autre personne qui ose exprimer un point de vue contraire à leurs opinions personnelles.
Etant donné que l’exemple doit nécessairement venir d’en haut, il convient particulièrement que les leaders des tous les partis politiques de notre pays aient à cœur la préoccupation de s’abstenir eux-mêmes d’user de langage inapproprié ainsi que de tenir des propos qui tendent toujours à diaboliser systématiquement leurs adversaires jusqu’à les considérer comme étant des ennemis mortels qu’ils se permettent de menacer de mort au cours de leurs meetings ou des harangues politiques de leurs partisans.
Il est aussi nécessaire que les autorités judiciaires évitent de demeurer passives face à cette multiplication croissante de telles menaces inciviques et criminelles dont l’impunité assurée assène un coup redoutable à la crédibilité de l’émergence de l’Etat de droit qui ne doit plus demeurer un simple slogan dans notre pays.
Pour des références sommaires sur l’ivoirite, prière de consulter rapidement www.wikipedia.org en recherchant les mots-clés suivants : ivoirite, Konan Bédié, Laurent Gbagbo, Alassane Ouattara et Houphouët-Boigny.