La révolution du 4 JANVIER 1959
(par Pierre Anatole Matusila)
La révolution du 4 JANVIER 1959
- Introduction
« Toute révolution est d’abord une volonté de rupture. Cela suppose donc constat de l’échec de l’ancien et projection dans l’objet du désir collectif, même si on ne perçoit pas immédiatement tous les contours. La révolution implique une préparation à la rupture au niveau individuel et collectif. Le processus pour y parvenir doit, avant toute chose, s’insinuer tant dans les valeurs et dans l’esprit avant d’atteindre une maturation collective. Il a en outre besoin d’un starter pour s’enclencher et d’un ferment pour s’amplifier ». « L’esprit révolutionnaire peut se mettre en veilleuse, disparaître pour rejaillir plus loin ; car une pensée qui a saisi l’aspiration profonde d’un peuple finit toujours par s’incarner ». Cette pensée à la fois philosophique et politique de Maurice Kamto, avocat, universitaire et homme politique camerounais, conviendrait pour souligner l’importance et la place qu’occupe la révolution du 04 janvier 1959 dans l’histoire de notre pays.
02. Constat d’échec et volonté de rupture
La colonisation belge fut féroce et impitoyable. Elle incarnait un processus de déshumanisation et de mise en faillite d’un peuple dans la valeur qu’il accorde à sa propre identité. Elle a abouti à l‘anéantissement de notre être qui a été réduit à la force brute de la bête que l’on met au travail. Cela a entrainé une accumulation permanente des frustrations et une souffrance morale continuelle. Faisant le constat de l’échec de ce système avilissant et rétrograde, L’ABAKO a réaffirmé à plusieurs reprises le droit de la population congolaise à disposer d’elle-même pour s’affranchir du joug colonial. L’histoire des Peuples nous apprend qu’une Nation ne se construit véritablement qu’autour des gens qui luttent de façon constante et consistante contre la servitude et l’assujettissement.
03. Préparation à la rupture
L’émergence de cet éveil de conscience pour la liberté remonte déjà au combat mené notamment par Kimpa Vita, combat né des illusions quant aux intentions réelles du Portugal dans ses relations avec le Royaume Kongo, en passant par la colonisation belge et le mouvement messianique dont la figure emblématique fut Simon Kimbangu, ainsi que tant d’autres résistants. Cette lutte a pris pleinement forme avec la création de l’ABAKO par Edmond Nzeza N’landu et la consolidation de ce mouvement par Joseph Kasa-Vubu. Ce dernier a insufflé un dynamisme nouveau à l’ABAKO, comme une sorte de transfusion de son rayonnement personnel, pour le propulser sur la ligne de front. D’autres mouvements nationaux, bien que postérieurs à l’ABAKO, ont aussi joué un rôle non moins important et qui a eu pour objectif la libération de la population congolaise.
Par ailleurs, la publication de la Charte des Nations Unies en 1945 à San Francisco a mis fin à la guerre des conquêtes territoriales et a ouvert la voie à l’autodétermination des peuples du monde du joug colonial. Ce bouleversement sociopolitique a pris de court la Belgique qui ne s’était pas préparée à quitter sa colonie modèle, sa colonie fidèle et soumise qu’était le Congo. C’est dans ce contexte que le Professeur Jozef Van Bilsen, alors Directeur d’un centre d’études africaines, publie en 1956 un Plan de Trente ans pour l’émancipation politique de l’Afrique belge. La publication de ce Plan suscita des réactions diverses tant du côté des Belges que des Congolais.
Côté congolais, l’ABAKO a pris le contre-pied de la déclaration de « Manifeste de Conscience africaine », œuvre du groupe des évolués congolais, dans un document intitulé «Contre-manifeste de Conscience africaine», pour rejeter en bloc ce plan de 30 ans et réaffirmer le droit de la population congolaise à une indépendance totale et immédiate pour un Congo uni et fédéral.
04. Starter
Le starter qui a enclenché la révolution du 4 janvier 1959 fut incontestablement l’interdiction de la réunion publique de l’ABAKO/KALAMU convoquée par son président sectionnaire Vital Moanda pour rendre compte des travaux de la Conférence des peuples africains tenue en décembre 1958 à Accra, capitale du Ghana, sur initiative du Président Nkrumah. Ce dernier, dont le pays avait accédé à la souveraineté nationale et internationale depuis 1957, voulait par cette conférence accélérer la libération des territoires africains sous administration coloniale d’une part et d’autre part pour répandre l’idéologie panafricaine. Il avait invité les leaders congolais qui lui avaient paru les plus engagés dans le mouvement de libération nationale notamment Joseph Kasa-Vubu et Patrice-Emery Lumumba. Joseph Kasa-Vubu empêché, fut remplacé par Gaston Diomi qui devrait rendre compte des résultats et recommandations de la dite conférence ce dimanche 4 janvier 1959 à la Place YMCA.
L’arrivée de Joseph Kasa-Vubu sur le lieu de la réunion, tard dans l’après midi, a créé auprès des militants, un effet de survoltage, une sorte de choc électrique qui a porté leur moral à l’incandescence. Des tintamarres et des vociférations délirantes fusaient de partout pour saluer sa présence.
La confirmation par lui-même, de l’interdiction sans motif valable de cette réunion, a soulevé une protestation générale et une explosion de violence. La bagarre a éclaté entre les forces de police et les manifestants. Il s’en est suivi un soulèvement général qui a gagné, comme une trainée de poudre, les cités africaines et à la suite duquel plusieurs compatriotes ont payé le prix le plus fort à cause de leurs aspirations à la liberté.
05. Ferment de la révolution du 04 janvier 1959
Le ferment qui a amplifié le mouvement fut sans nul doute l’arrestation de plusieurs responsables de l’ABAKO et la dissolution de ce mouvement qui suscitait un cauchemar auprès des européens pour son engagement dans la lutte pour l’indépendance de notre pays. L’ABAKO décapité et dissout, le pouvoir belge n’avait plus d’interlocuteur et, la rue a repris l’initiative du combat. Aveuglé par l’esprit de vengeance, le Gouvernement belge a perdu toute analyse objective de la situation. La répression du mouvement paraissait incertaine dans ces conditions.
Le vent de la décolonisation, qui a commencé à souffler sur le Continent africain dans la décennie 1950, à partir du Nord de continent et qui se rapprochait inexorablement vers le Centre, a servi également de levier pour amplifier le mouvement. D’aucuns ont fait allusion aux spectateurs qui sortaient du stade Roi Baudouin où s’est joué le match V Club contre Mikado. Ces spectateurs ignoraient totalement ce qui se passait à proximité. Ils se sont joins à cette foule des manifestants pour détruire et renverser tabous et symboles du pouvoir colonial et mettre à sac les magasins des expatriés.
Toute révolution privée d’une base ne peut atteindre son but qui est la victoire. Dans ce corps à corps avec les forces de l’occupation, la victoire n’est possible que si l’action révolutionnaire s’inscrit dans la durée. Les manifestations se sont poursuivies, avec la même intensité, sans désemparer, au-delà du 4 janvier, pour s’infléchir vers le 7 janvier, sans disparaître totalement. La révolution du 4 janvier, porteuse des valeurs et d’une espérance fondamentale, a entrainé une adhésion populaire car elle traduisait en acte la volonté d’un plus grand nombre des compatriotes.
Face aux tergiversations et aux atermoiements de la partie belge, l’ABAKO radicalisa son opposition et prôna le boycott des élections des secteurs de juillet – août 1959, le refus de participer aux colloques des partis politiques organisés par l’administration coloniale, et la désobéissance civile. Cette désobéissance civile impliquait, dans l’espace contrôlé par l’ABAKO, particulièrement dans le Bas-Congo, le refus de payer les impôts et les taxes. Le refus de se présenter aux bureaux de l’Etat civil, de répondre aux convocations des tribunaux, d’exécuter les sentences de la justice, le refus de tout contact et de tout dialogue avec l’Administration coloniale, le refus de présenter les livrets d’identité, le refus des vaccinations et des soins médicaux.
06. Epilogue
La révolution du 04 janvier 1959 a pesé lourdement sur la déclaration gouvernementale, une semaine plus tard, sur l’avenir du Congo et a amené le Gouvernement belge à prononcer le mot que les Congolais attendaient; « Indépendance », alors que le texte finalisé par le comité de rédaction n’en contenait pas. Elle contribua également à l’accélération du processus d’indépendance avec le démarrage dès le 20 janvier 1960 de la Conférence de la Table ronde politique belgo-congolaise qui a abouti à l’indépendance de notre pays le 30 juin 1960.
Ces brèves indications historiques visent à souligner l’importance capitale de la révolution du 04 janvier 1959 pour l’avènement d’un Congo indépendant et le rôle central qu’y a joué l’ABAKO, premier parti politique congolais et noyau du mouvement de lutte pour l’indépendance de notre pays sous le leadership de son président général Joseph Kasa-Vubu.
07. Que sont devenus les martyres de la liberté ?
Martyros en grec signifie témoignage. Mais il ne s’agit pas de n’importe quel témoignage. Il s’agit surtout de témoignage dans des circonstances difficiles, dans des moments de persécution, pour défendre sa foi, sa cause, jusqu’au sacrifice suprême. Les martyres du 04 janvier ont été pour nous congolais un salut et une grande bénédiction pour que se réalise le rêve d’un Congo libre et indépendant. Mais, comment la nation exprime t-elle sa reconnaissance envers ces héros de notre liberté?
N’avons-nous finalement que des morts inutiles, quelque fut la cause de leur sacrifice ultime ? Uni simplement par le sort, leur témoignage, ne pourrait-il pas servir d’acte fondateur pour cimenter notre foi en une cause commune pour sauver la nation? Comment pourrions-nous être unis dans l’effort pour l’indépendance si la commémoration de cette journée, volonté de notre assomption du joug colonial, est restée jusqu’à présent l’affaire de l’ABAKO et des Fédéralistes congolais ? Où est le monument dédié aux martyres de l’indépendance ? D’autres martyres n’ont-ils pas été honorés par la dénomination d’un grand stade omnisport en leur mémoire ? Ensevelis comme des inconnus, leurs cimetières ont simplement été rasés, comme pour effacer toute trace de leur existence et nous enlever toute possibilité de nous recueillir sur leurs tombes ? Pourquoi le souvenir de leur sacrifice n’est ni taillé sur des pierres, ni honoré par des airs de bravoure populaire? Ou sont nos temples où la nation honore et se souvient de ses enfants prodiges, de ses figures emblématiques, de ses héros, véritables phares dans sa marche historique? Comment construire la conscience collective par la méconnaissance de ceux qui font l’histoire de la nation ? Ces interrogations, tout à fait légitimes, se bousculent dans ma tête et nous interpellent au moment où notre pays est en proie à une instabilité chronique qui plombe son décollage économique et compromet gravement la paix et son unité nationale.
Pierre Anatole MATUSILA
Président Général de l’ABAKO