Vendredi 02 Août 2002, au lendemain de la Fête des Parents célébrée le 01er Août, paraît dans les Kiosques à journaux, le journal L’Intermédiaire, Edition N°42 avec à la Une : « Le Colonel Alamba prié de libérer, sans délai, N’Sii Luanda et Maître Willy Wenga détenus illégalement pour le compte de la Cour d’Ordre Militaire au CPRK ».
En sous-titres, on pouvait lire :
-« Les défenseurs des droits de l’homme menacent d’organiser un sit-in devant le Bureau du Chef de l’Etat avant de se constituer tous prisonniers par solidarité ».
-« Ils exigent, conformément au Pacte Républicain et à la consolidation du Camp de la Patrie, la suppression pure et simple de la Cour d’Ordre Militaire ».
En pages 2 et 7 de cette Edition, le journal publiait in extenso le Memorandum des Organisations Non Gouvernementales de Défense des Droits de l’Homme et Syndicats, relatif à l’arrestation arbitraire et à la détention illégale des défenseurs des droits de l’homme N’Sii Luanda (Codho) et Willy Wenga Ilombe (Acpd). Ainsi qu’une lettre de demande d’autorisation pour l’organisation d’une manifestation publique et pacifique signée par la concertation de onze Ongdh pour la libération de deux défenseurs des droits de l’homme et la lettre de refus du Gouverneur de la Ville de Kinshasa pour l’organisation de ladite manifestation pacifique.
Publié en page 8 de la même Edition, l’article au vitriol signé « L’Intermédiaire » qui explicitait le contenu de la Une avait fortement déplu au Colonel Charles Alamba Mungako, le Procureur Général près la Cour d’Ordre Militaire qui, dès ce vendredi, mettra sur les trousses de l’Editeur, des Inspecteurs judiciaires de la Cour d’Ordre Militaire avec à leur tête, le Magistrat Militaire Lemba Luzolo alias Saddam Hussein, Lieutenant de son état, avec le concours de la Police Nationale Congolaise.
Pour parvenir à leurs fins, ils vont s’assurer les services de leur « indicateur », un revendeur des journaux qui était en accointance avec les services secrets, notamment « militaires », le nommé « Dominique ».
L’infiltré « revendeur » qui a vu affiché à la Une le nom du Colonel Charles Alamba Mungako sur la place Rond-Point Victoire-Matonge où se distribuent dès 4 heures du matin jusqu’aux alentours de 8 heures depuis les années 90 tous les journaux de la Capitale, va approcher l’Editeur en confiant que » le Colonel Alamba exagère dans sa répression, particulièrement dans le cas des deux défenseurs des droits de l’homme, N’Sii Luanda et Willy Wenga ».
Le « sleeping agent » assurera qu’il connaît Maître Willy Wenga que le Colonel Alamba aurait arrêté pour des coups de fil adressés en direction du Major Bora Uzima Kamuanya en cavale…prétendant également bien connaitre le Major fugitif Bora Uzima qui avait réussi à se faire la belle depuis les geôles secrets des services de GLM où furent gardés momentanément les assassins présumés de M’Zee LDK.
Pour gagner davantage la confiance de l’Editeur, il promettra de l’appeler au courant de la semaine en vue de lui confier un dossier qui mettrait à nu les agissements retors et rébarbatifs du Colonel Charles Alamba, particulièrement au sujet d’une affaire d’un ressortissant libanais injustement incarcéré à la Prison Centrale de Makala. A qui le Procureur Général près la Cour d’Ordre Militaire aurait exigé, pour sa libération, la contrepartie de deux voitures et de deux parcelles.
Au passage, « l’indic » de la Cour d’Ordre Militaire promettait de prendre langue avec un des frères du libanais en question pour des plus amples détails.
Ainsi le « Judas » de Matonge quittait l’Editeur en prenant soin de bien noter le numéro de téléphone de ce dernier tel qu’affiché sur l’en-tête du journal.
Mardi 06 Août 2002, le portable de l’Editeur est littéralement saturé par des appels à consonances féminines plutôt envoutantes, toutes promettant de discuter avec lui au lieu de son choix pour des informations qu’elles voulaient lui confier, relatives à la Cour d’Ordre Militaire.
Mais l’Editeur ne se fera pas prier par des appels d’inconnues qui, vraisemblablement tentaient de le prendre au piège.
Mercredi 07 Août 2002 vers 10heures, un appel sous le numéro 9924099 retentit sur le portable de l’Editeur. C’est un certain Hadigi se présentant comme le Président de la Presse de l’institut Supérieur de Commerce qui dit vouloir rencontrer Mr l’Editeur qu’il appelle respectueusement « Mon Vieux ».
« C’est urgent », dit-il. « Mon frère est depuis plusieurs mois incarcéré à la Prison Centrale de Makala sur ordre personnel du Colonel Alamba. J’ai vu ce que tu as écrit sur les deux défenseurs des droits de l’homme. Voilà pourquoi je voudrais te confier un dossier : il s’agit d’un libanais incarcéré à la Prison Centrale de Makala…C’est très urgent Mon Vieux…Je t’attends au croisement de l’Avenue ex 24 Novembre et le Boulevard du 30 Juin, Place Mandela… ».
Réponse de l’Editeur : « Mon Cher, je ne te connais pas. Après une publication sur la Cour d’Ordre Militaire et une sévère critique à l’endroit du Colonel Charles Alamba, je ne me vois pas en train de projeter une autre Edition sur le même sujet. Ce serait de l’acharnement. Mais puisque tu insistes, je te prierai d’envoyer le texte via l’Internet dans ma boite E-mail« .
Et l’inconnu de rétorquer : « Mon Vieux, il y a des pièces que je ne saurais envoyer par E-mail. Il faut que je te voie » !
Pour vrai, le nommé Hadigi de la Presse de l’ISC sous le référé téléphonique 9924099 n’était autre qu’un Magistrat Militaire, au grade de Lieutenant œuvrant à la Cour d’Ordre Militaire chargé par le Colonel Charles Alamba d’arrêter, toutes affaires cessantes, l’auteur de l’article contre sa personne et l’institution sous ses ordres, la COM.
Une demi-heure plus tard, retentit un autre coup de fil. Il émane cette fois-ci de Dominique, le revendeur distributeur des journaux à la criée qui prétexte que le frère du libanais est décidé de rencontrer Mr l’Editeur pour lui parler de l’affaire de son frère libanais arrêté par le Colonel Charles Alamba dans le dossier de l’assassinat du défunt Président M’Zee Laurent-Désiré Kabila.
Que croupissant à Makala, son frère serait l’objet des sollicitations diverses de la part du Colonel Alamba…
Réponse de l’Editeur : « Petit-frère Dominique, tu dois certainement être en contact avec un Monsieur qui vient d’appeler il y a une demi-heure et qui, curieusement me parle du même dossier. Sans doute voudras-tu me livrer aux forces de sécurité ? »
Du coup, le nommé Dominique qui appelle en réseau SAIT TELECOM OASIS s’embrouille et s’agite au téléphone, affirmant qu’il doit être victime de la jalousie du Gérant du libanais qui lui en voudrait, jurant être seul sans aucune connexion avec qui ce soit. Il jure sur la tombe de ses parents et de ses ancêtres ne rien savoir de cet homme qui a appelé peu avant lui.
Malheureusement la suite des événements démontrera que ce revendeur des journaux était l’éclaireur à la tête des policiers du ressort de trois sous-commissariats de Police, des Inspecteurs Judiciaires en civil de la Cour d’Ordre Militaire sous le commandement coordonné de l’appelant de la Presse de l’ISC chargé de ramener Mr l’Editeur.
Au terme de toutes ces sollicitations, harassantes et haletantes, presque lassé de ce combat de guerre lasse, Mr l’Editeur promettait d’arriver en ville dans les instants qui suivaient car il devait passer à la Rédaction du journal « Le Potentiel » s’enquérir du programme des funérailles d’un confrère journaliste décédé la veille, feu Nitumfuidi Lumana dit « Nituf ».
Assuré de voir l’oiseau tomber dans le filet de l’oiseleur, une demi-heure après, l’indicateur et revendeur de journaux rappelait et disait attendre Mr l’Editeur devant l’Alimentation « Le Carrefour » (ndlr : aujourd’hui « Peloustore ») situé sur le Boulevard du 30 Juin en face du siège social de la Société Nationale d’Assurances, Sonas en sigle.
L’Editeur prendra soin de prévenir son épouse. Mais celle-ci, intuitive, pressentant le danger mieux que le mari, le sixième sens féminin aidant, conseillera au mari journaliste de ne pas prendre le risque de répondre à un tel rendez-vous, surtout lorsqu’il émane d’un quidam dont tout portait à croire qu’il devrait être de mèche avec les sbires de la Cour d’Ordre Militaire et qui affirmait connaitre tour à tour le Major en fuite Bora Uzima et Maître Willy Wenga depuis l’époque de « La Semaine du Reporter »…
Arguant le risque du métier, l’Editeur transcrira à Madame son épouse quelques numéros utiles triés judicieusement de son Carnet d’adresses « au cas où il ne serait plus revenu »(sic) !
Et de préciser, un tantinet prémonitoire : »Si je ne reviens pas, c’est que je suis tombé dans le piège du revendeur des journaux nommé Dominique ».
Arrestation « manu militari »…
La mi-journée de ce Mercredi 07 Août 2002 est arrosée par des fines gouttelettes de pluie, rarissimes en cette saison sèche. Il embarque dans un taxi qui part de Bandal-Moulaert en direction du Centre-Ville. Le revendeur des journaux rappelle constamment, question de s’assurer que la proie est en route. Tandis que Mr l’Editeur précise à chaque appel qu’il arrive dans les instants qui suivent.
Sur le Boulevard du 30 Juin, l’Editeur choisit de déjouer le plan du revendeur « déterminé à nuire » en optant de descendre au niveau de l’Immeuble « Sabena » pour scruter sa position réelle. Ainsi l’aperçoit-il au loin, entouré de trois personnes en civil, accoudées toutes à une voiture, « le traitre » ayant tout l’air de tailler bavette avec elles.
Par un coup d’œil furtif et scrutateur digne d’un félin, son regard croise en le toisant celui de l’Editeur. Celui-ci lui fait un signe de la main en le priant de le rejoindre.
Aussitôt, les trois personnes se mettent en branle, feignant de faire croire qu’elles n’étaient pas ensemble tandis qu’elles le suivent de manière discrète.
Mr l’Editeur a tôt fait de comprendre, trop tard, qu’il vient de tomber dans un traquenard. En ce moment, tout devenait possible.
D’un pas plutôt vif, il s’en éloigne avant de s’arrêter derrière la Poste pour écouter le dernier baratin du revendeur des journaux qui s’empresse de lui proposer de s’asseoir quelque part dans un bar du coin.
Offre que refuse l’Editeur, lui faisant au contraire remarquer qu’il était de connivence avec trois personnes qui ne le quittaient pas d’une semelle. Ce qu’il réfute.
L’Editeur qui ne veut pas se faire prendre dans un coin où personne ne saura ce qui se serait passé, presse les pas et par grandes enjambées se dirige au siège du journal « Le Potentiel ».
Le jeune revendeur qui sent le butin lui échapper, prie l’homme des médias à faire une halte en vue, dit-il, de lui confier les numéros d’appel du frère du libanais incarcéré.
« Non », réplique l’Editeur qui lui rappelle que trois personnes lui collent au talon depuis l’Alimentation « Le Carrefour ».
Au bout du compte, l’Editeur se retrouve devant la rédaction du « Potentiel », s’enquiert du décès de son confrère feu « Nituf », pendant que le revendeur passe outre et s’en va attendre à proximité de l’Ambassade de France située à près de vingt mètres de ladite rédaction.
Entretemps, les trois hommes passent à côté de l’Editeur sur l’Avenue Bas-Congo qui sépare la Banque Commerciale du Congo à la rédaction des journaux « Le Potentiel » et « L’Avenir ».
Après avoir taillé bavette avec les confrères, l’Editeur se décide de rejoindre ce revendeur des journaux posté du côté de l’Ambassade de France, le dos tourné, blotti dans un blouson-jaquette en cuir qu’il ne quitte presque jamais. Est-ce pour y dissimuler quelque pièce suspecte ? Nul ne le sait.
Il dit regretter que l’Editeur se soit éloigné de l’endroit d’où les attendait le libanais.
En réalité, outre des personnes non apparentes, s’y étaient également embusqués, une douzaine des policiers en tenue et armés, les trois hommes que l’Editeur avait réussi à détecter du premier coup d’œil ainsi que près d’une demi-douzaine d’autres en civil qui feront leur apparition à l’instant fatal.
Heureusement que l’Editeur avait eu la présence d’esprit de ne pas tomber dans le premier piège de l’Alimentation « Le Carrefour », réussissant du coup à les ramener autour d’un lieu où circulent à chaque instant les hommes des medias.
Dieu seul sait quel calcul immonde était concocté à son sujet s’il avait été pris à cette première place qu’est la devanture de l’Alimentation « Le Carrefour » devant laquelle il y avait des arbres, des fleurs touffues et par où transitaient des clients anonymes et autres passagers indifférents.
Mr l’Editeur rejoignait son malheureux compagnon à qui il proposa de s’asseoir sur une petite terrasse située derrière le grand bâtiment INSS abritant « Le Potentiel » et « L’Avenir » en face de la Station Engen.
La terrasse tenue par une des filles de feu Mulele étant souvent fréquentée par les journalistes, l’on s’y sentirait plus en sécurité. Ils s’assirent l’un en face de l’autre.
Pendant que l’Editeur estimait qu’il fallait prioritairement évoquer les contours du fameux dossier, dont malheureusement ils ne parleront jamais, lui le revendeur des journaux s’était empressé de rejoindre la fille au guichet pour faire semblant de s’enquérir des goûts, des différentes boissons…
En fait, il allait au guichet non pour la commande, mais pour faire signe aux forces de l’ordre et de sécurité afin que celles-ci passent immédiatement à l’action car de ce guichet haut perché, le traitre revendeur avait tout le loisir de voir la cohorte des centurions ameutés pour la cause.
Il est aussitôt rejoint au guichet situé à l’intérieur du bar par les trois hommes que l’Editeur avait formellement identifiés.
Il revint seul, une bouteille de bière à son goût à la main et deux verres. Une bière que personne ne prendra, ni lui, encore moins l’Editeur, le tout n’étant que l’une des séquences d’un funeste plan macabre visant à livrer un journaliste entre des mains criminelles.
Alors que l’Editeur lui fit remarquer qu’il était sans doute chargé de faciliter la tâche à ces hommes qui visiblement étaient des services de sécurité, il n’eut plus un mot à la bouche, content d’avoir réussi à accomplir sa sale besogne au profit du Commanditaire ici le Colonel Charles Alamba.
Dans son regard fugace, hagard et confus, l’Editeur lisait la traitrise, la trahison, le Judas Iscariote…
Debout et prêt au départ, il confiait, évasif, qu’il était bien à propos qu’il revoie son libanais le temps que l’Editeur prenne le verre de bière. Il ressortit de la terrasse suivi immédiatement par les trois hommes.
L’Editeur comprit qu’il venait d’être ainsi livré aux mains des soldats et des policiers.
Les trois hommes en civil reviennent, accompagnés par d’autres hommes en civil, puis par une douzaine des policiers en tenue et armés des fusils.
A la queue-leu-leu, file indienne, ils venaient de ceinturer la terrasse.
Il n’y avait là qu’un seul témoin ainsi que la tenancière du bar.
L’un des trois hommes vint devant l’Editeur et lui dit :« Monsieur Eugène Ngimbi Mabedo, nous sommes chargés de vous prendre et de vous amener ».
L’Editeur se leva et dit : »Tous trois, je vous ai bien vus depuis la devanture de l’Alimentation « Le Carrefour ». Que voulez-vous ? Est-ce çà la liberté d’expression ? Est-ce ça la démocratie chez nous ? »…
Et à l’instant, l’Editeur se retrouvait entouré d’une vingtaine d’hommes dont une douzaine en tenue et armés, d’autres en civil, sans doute armés eux aussi…
Etait-ce pour arrêter un journaliste ou pour le tuer ? Le délit de presse était-ce un crime de droit commun passible de mort ?
L’escorte était impressionnante. Tel Salman Rushdie des « Versets Sataniques », jamais l’Editeur n’oubliera cet instant où il s’est retrouvé aussi mieux gardé de sa vie pour une simple opinion émise sur le fonctionnement d’une institution qui, bon an mal an était appelée à disparaitre.
Un éminent visionnaire a dit que la liberté d’expression ne s’use que quand on ne s’en sert plus.
Ainsi arrêté « manu militari » sans qu’aucun mandat ne lui ait été formellement présenté, l’Editeur n’aura manifesté aucune résistance à ce peloton d’hommes armés.
Au croissement qui jouxte les rédactions de « L’Avenir » et du « Potentiel », l’Ambassade de France et la Banque Commerciale du Congo, il pria ces bourreaux d’accepter qu’il laisse son téléphone mobile à la rédaction du « Potentiel ». Mais ceux-ci refusèrent.
Il les pria d’accepter alors qu’il dise à ses confrères qu’il est l’objet d’une arrestation arbitraire, qu’il ne savait nullement où ces hommes armés le conduisaient et qu’ils devraient lui dire ce qu’ils lui reprochaient.
C’est alors que cette meute d’hommes en armes se mirent à le brutaliser, d’aucuns tentant de le prendre de force et de le contraindre à marcher. Il a fini par se retrouver pattes en l’air. Littéralement « entre terre et ciel » !
Que pouvait un journaliste devant toute une armée ?
Face à ce désolant spectacle où un compatriote était violenté, bousculé de toutes parts, planant littéralement dans les airs, des hommes et des femmes accourraient, se disant qu’un bandit ou un voleur de grand chemin venait d’être pris.
Mais quelle n’était pas leur stupéfaction d’apprendre que c’était un journaliste, de surcroit l’Editeur d’un hebdomadaire paraissant à Kinshasa !
Dans la foulée, un policier lui arracha de force et brutalement son téléphone mobile qu’il remit à un homme habillé en veste.
Pour peu, il se serait trouvé avec des habits en lambeaux car le journaliste venait d’offenser l’intraitable Colonel Alamba de la Cour d’Ordre Militaire.
Les fauves déchainés ne lâcheront prise que sur ordre de l’homme en veste qui tenait désormais le portable de l’Editeur, leur intimant de ne plus brutaliser « Monsieur l’Editeur ».
L’Editeur ainsi humilié par tels traitements inhumains et dégradants se vit alors interloqué par l’homme en veste tapis jusqu’ici dans l’ombre mais qui était le coordonnateur de toutes les opérations. Il s’agissait du soi-disant et prétendu « Président de la Presse de l’ISC », qui en réalité était le Magistrat Militaire de la Cour d’Ordre nommé Saddam Hussein, le Lieutenant Lemba Luzolo.
« Monsieur l’Editeur, dit-il, vous êtes un homme respectable. Conduisez-vous en homme responsable. C’est juste un contrôle de routine. Nous allons au poste de Police en face pour quelques renseignements. Que désirez-vous ? »
Il lui répondit : »Que mes confrères sachent que je suis l’objet d’une arrestation arbitraire pour un papier qui a osé parler du Colonel Alamba et de la Cour d’Ordre Militaire ».
Cela lui fut accordé. Il le priait d’inviter ses confrères et de leur parler. Il en appela un qui était en train de regarder médusé et qui ne pouvait s’imaginer que c’était un confrère.
Il s’agissait du journaliste Diana, Rédacteur en chef du Quotidien L’Avenir. L’Editeur lui dit qu’il était arrêté et ne savait où on l’amenait.
Sur le Boulevard du 30 juin, celui de l’Indépendance et de la liberté souveraine, le Policier de roulage certainement au fait de cette arrestation bloqua la circulation pour permettre au Bataillon, que dis-je, à l’Escadron de traverser sans anicroches.
Aussitôt au poste de Police de l’Immeuble Litho Moboti, l’homme en veste qui se faisait désormais appeler « Mon Lieutenant » et dont le visage irradiait de joie après cette pêche miraculeuse, pria l’Officier de Police Judiciaire de lui laisser le Bureau à l’étage. L’Editeur fut escorté, escaladant les marches, jusqu’au premier étage.
Assis sur un banc très rudimentaire devant une table tout aussi rustique qui a sans doute servi dans les artères du Centre-ville et qui sert à l’OPJ pour ses auditions, il se trouvait nez à nez avec l’appelant 9924099.
Ce fut le premier interrogatoire. Le Lieutenant le pria de lui remettre sa carte de presse. Ce qu’il fit. Il s’ensuivit les questions usuelles d’identification. Ensuite, il instruisit le Peleton, pince-sans-rire, « de bien garder Monsieur Ngimbi« , le temps pour lui de convoyer une voiture Mercedes 200 jusqu’au bas de l’immeuble.
L’Editeur était à nouveau escorté pour dévaler les marches. On le pria de se diriger vers une voiture Mercedes stationnée devant le poste de Police. L’homme en veste, le Magistrat Militaire Lemba Luzolo dit Sadam Hussein était au volant et attendait.
L’Editeur fut jeté sur le siège arrière de la voiture, un policier de part et d’autre, chacun armé d’un fusil. Deux policiers en tenue et armés prirent place sur le siège avant. Le Lieutenant instruisit les autres policiers à rejoindre respectivement leurs sous-commissariats, soit celui de la Sonas, soit celui du sous-commissariat dit « Le Central », ou celui de l’Immeuble Litho Moboti.
Quant aux autres en civil, il leur enjoignit de le rejoindre à la Cour d’Ordre Militaire.
Aussitôt au siège de la Cour d’Ordre Militaire où trône le Colonel Alamba à côté de l’ISP/Gombe et en diagonale de la Banque Centrale du Congo, il sera vulgairement déchaussé, la ceinture brutalement arrachée et ses lunettes confisquées. Il sera fouillé de fond en comble par les éléments de la Police Militaire affectés à la Com au titre des premiers soins sur ordre du Lieutenant Lemba.
Réduit à sa plus simple expression, pieds nus, il sera trainé jusque dans le Bureau du Magistrat Lemba qui, cette fois-ci, le soumettra à un interrogatoire de plus de deux heures sur les motivations de son écrit en faveur de deux défenseurs des droits de l’homme incarcérés, et celles sur cet autre écrit jugé critique ,injurieux avec des imputations dommageables, diffamatoire à l’endroit de la Cour d’Ordre Militaire et du Colonel Alamba.
L’audition terminée, il sera à nouveau escorté par les éléments de la Police Militaire puis écroué au cachot de la Com où il sera mêlé à une trentaine des Militaires et Policiers, sans oublier ce pasteur civil, tous indistinctement arrêtés pour des motifs divers.
On y reste assis et on y passe la nuit allongé sur le pavé. Il ne s’y trouve aucun matelas.
Par la suite, il sera extrait du lieu infect et gardé à la « Cellule » située au Corps de garde, la guérite juste à l’entrée de la Com, en compagnie du Lieutenant-Colonel Mukadi.
L’Editeur et le Lieutenant-Colonel Mukadi y passeront la nuit chacun sur une chaise de fortune. On s’y croirait dans un poulailler, la « Cellule » n’étant ni meublée, ni éclairée. La fenêtre largement ouverte expose aux courants d’air et aux moustiques. C’est dans cette « Cellule » du Corps de garde qu’habituellement on garde les femmes.
Mais c’est là aussi que l’on déchausse et dépouille tout contrevenant qui débarque avant d’être jeté dans le cachot.
Tôt le matin vers 4h30, la Police Militaire escorte un à un les prisonniers vers les toilettes. Celles-ci n’ayant aucune porte, la Sécurité Militaire voudrait que le détenu se soulage en présence d’un élément de la Police Militaire, fusil en bandoulière. Exercice, ô combien dégradant auquel nous étions tous soumis, quel que soit le rang ou le grade.
Ensuite, on vous escorte vers un robinet situé dans une cour attenante de la grande cour. Avec un sceau de fortune, vous êtes prié de prendre une douche en plein air en présence d’un ou de deux éléments de la Police Militaire. Aussitôt habillé, ceux-ci vous escortent jusqu’au lieu de détention.
Autour de 6h00, tous les détenus sont conviés dehors à répondre présents à un contrôle de routine. Et près de six fois chaque jour, les détenus sont astreints à ce contrôle rituel, question de s’assurer qu’aucun n’a réussi à s’enfuir.
A 7h00, c’est le salut au drapeau d’où le Procureur Général près la Cour d’Ordre Militaire reçoit les honneurs militaires au son de la trompette, des airs parfois lugubres ponctuant toute entrée du Colonel dans l’enceinte de la Cour et qui évoquent l’imminence eschatologique de la fin des temps…
Autour de 7h30, chacun des Magistrats est à son poste. Et il n’est pas faux de dire que le respect de l’heure est un point d’honneur de la discipline militaire sur lequel on peut féliciter les éléments de la Cour d’Ordre Militaire.
Dès 7h00 du matin ce jeudi 08 Août 2002 peu avant le salut au drapeau, le Magistrat Lemba convie l’Editeur à le rejoindre à son Bureau. Il est escorté d’un élément de la Police Militaire.
L’Edition du journal incriminée sur la table, il sera contraint de défendre et d’expliquer phrase par phrase, ligne par ligne, le contenu de son article critique sur la Com et le Colonel Alamba.
Méthodiquement, l’Editeur aura convaincu le Magistrat Lemba à respecter la loi n°096/02 du 22 Juin 1996 règlementant l’exercice de la Liberté de Presse en République Démocratique du Congo et qu’en la circonstance, le Colonel Alamba qui se sentait lésé par un écrit ayant mis en cause l’Institution qu’il dirige, devrait user du Droit de réponse au lieu de trainer le journaliste dans la boue comme un vulgaire criminel.
Qui pis est, devant une Cour d’exception, véritable Cour martiale qui juge en premier et dernier ressort.
Après concertation avec la hiérarchie, le Magistrat Lemba annoncera au journaliste qu’un compromis venait de se dégager et que l’Editeur ainsi que les onze Organisations de Défense des Droits de l’Homme signataires du Mémorandum sont conviés à une réunion de concertation à la Cour d’Ordre Militaire Samedi 10 Août 2002 à 10h00.
Ce qui laissait présager d’une libération imminente de l’Editeur même s’il passera une nuit supplémentaire à la Com.
Vendredi 09 Août 2002 vers 9h30, il était convié à nouveau au Bureau du Magistrat Lemba, escorté d’un élément de la Police Militaire. C’était pour s’entendre dire qu’il était libre. Enfin. Et Ouf !
Il lui sera cependant remis un autre Mandat de Comparution pour Samedi 10 Août 2002 à 9h00.
Au sortir de ce geôle, il sera agréablement surpris par la présence réconfortante des représentants de « Journalistes en Danger » et des activistes de la Voix des sans Voix, feu Floribert Chebeya Bahizire en-tête, tous particulièrement très actifs depuis la nouvelle de l’arrestation injuste grâce à l’alerte du confrère Joachim Diana pendant que des larmes coulaient des joues de l’épouse éplorée et des enfants traumatisés…
Floribert Chebeya qui l’accompagnera jusqu’en sa résidence, devant s’assurer personnellement que le prisonnier libéré avait finalement rejoint sa demeure en toute sécurité. Hommage Posthume à un compatriote qui lui, ne survivra pas à la traque de Juin 2010, la veille du Cinquantenaire de l’Indépendance, s’étant retrouvé au mauvais endroit, au mauvais moment !
Le téléphone mobile de l’Editeur confisqué lui sera restitué en panne par le Magistrat Militaire dit « de semaine » Mutombo Basaya sur ordre de Saddam Hussein.
Samedi 10 Août 2002 à 10h00, comme convenu et à l’Invitation-Convocation du Procureur Général près la Cour d’Ordre Militaire le Colonel Charles Alamba Mungako, l’Editeur Directeur Responsable de L’Intermédiaire Monsieur Eugène Ngimbi Mabedo prenait part en homme libre à la réunion de concertation entre la Com et les Organisations Non Gouvernementales de Défense des Droits de l’Homme.
Rideau.
Eugène Ngimbi Mabedo
République démocratique du Congo
INTERVENTIONS URGENTES
RD Congo: arrestations
LETTRE OUVERTE A M. JOSEPH KABILA PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU CONGO
Paris-Genève, le 9 août 2002
Monsieur le Président de la République,
Dans le cadre de leur programme conjoint de l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme, la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) et l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT), tiennent à exprimer leur plus vive préoccupation au regard de l’arrestation, le 7 août 2002, de M. Eugène Ngimbi Mabedo, responsable et éditeur de l’hebdomadaire L’Intermédiaire.
Selon les informations reçues par la Voix des Sans Voix et Journalistes en Danger, M. Ngimbi Mabedo a été directement déféré au Parquet près la Cour d’Ordre Militaire de Kinshasa (COM, tribunal d’exception jugeant en premier et dernier ressort), après son arrestation. Il y est toujours détenu.
M. Ngimbi Mabedo est poursuivi pour « diffamation à l’encontre de la COM et du procureur général près la COM, le Colonel Charles Alamba », en lien notamment avec un article paru dans L’Intermédiaire le 7 août 2002 en faveur de la libération de M N’sii Luanda Shandwe, Président du Comité des observateurs des droits de l’Homme, et M. Willy Wenga Ilombe, avocat, membre du Centre africain pour la paix, la démocratie et les droits de l’Homme (ACPD), arbitrairement détenus après avoir été interrogés et détenus à la COM.
L’article critiquait également le fonctionnement de la justice telle qu’administrée par la COM.
L’Observatoire considère que la détention de M. Ngimbi Mabedo est arbitraire car elle ne vise qu’à sanctionner sa liberté d’expression. Par ailleurs, l’Observatoire s’inquiète qu’une cour militaire soit compétente pour juger M. Ngimbi Mabedo, civil, contrairement au décret régissant la COM et aux engagements que vous avez pris à cet égard. Par conséquent, l’Observatoire appelle à la libération immédiate de M. Ngimbi Mabedo.
Par ailleurs, l’Observatoire tient à exprimer sa préoccupation croissante à l’égard de la situation de M. N’sii Luanda, ainsi que de Willy Wenga Ilombe, arrêtés respectivement les 19 avril et 20 février 2002. Tous deux sont détenus au Centre pénitentiaire et de rééducation de Kinshasa (CPRK), sans qu’aucune charge n’ait été prononcée à leur encontre, au motif qu’ils auraient été en contact avec des personnes suspectées d’atteinte à la sûreté de l’Etat.
Dans un contexte où la défense des droits de l’Homme est fréquemment associée à des activités criminelles d’atteinte à la sûreté de l’Etat, l’Observatoire craint que leur arrestation ne vise à sanctionner leur activité en faveur de la défense des droits de l’Homme en République Démocratique du Congo et à faire ainsi pression sur la société civile pour empêcher toute forme de contestation. L’Observatoire rappelle que M. N’sii Luanda avait été détenu du 5 juin au 29 octobre 2001 sans aucune charge dans les locaux de l’Agence nationale de renseignements (ANR) à Kinshasa. Il avait été libéré par ordonnance de mainlevée du procureur de la République.
L’Observatoire demande que M. N’sii Luanda et M. Willy Wenga Ilombe soient libérés dans les plus brefs délais ou, en cas de charges valides à leur encontre, qu’ils soient présentés devant une juridiction civile et que soit garanti leur droit à un procès juste et équitable conformément aux dispositions du droit international liant la RDC.
Enfin, l’Observatoire, a été informé que les organisations prenant part à la campagne en faveur de la libération des deux défenseurs des droits de l’Homme ont été convoquées par le Colonel Alamba le 10 août 2002 au matin, pour une réunion de concertation à son cabinet. L’Observatoire, qui apporte son entier soutien aux démarches entreprises par ces organisations, vous prie de veiller à ce que leur sécurité soit garantie et qu’aucune pression ne soit exercée à leur encontre lors de la réunion devant se tenir demain, et plus généralement dans le cadre de leur campagne. L’Observatoire rappelle à cet égard qu’un rassemblement pacifique en faveur de la libération de M. N’sii Luanda et M. Wenga Ilombe, prévu devant la Présidence de la République, a été interdit le 9 juillet dernier.
Plus généralement, l’Observatoire prie les plus hautes autorités congolaises de se conformer aux dispositions de la Déclaration sur les défenseurs des droits de l’Homme adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 9 décembre 1998, notamment à son article 1 qui dispose que « chacun a le droit, individuellement ou en association avec d’autres de promouvoir la protection et la réalisation des droits de l’Homme et des libertés fondamentales aux niveaux national et international » et son article 6.b selon lequel « chacun a le droit d’étudier, discuter, apprécier et évaluer le respect, tant en droit qu’en pratique, de tous les droits de l’Homme et de toutes les libertés fondamentale et, par ces moyens et autres moyens appropriés, d’appeler l’attention du public sur la question ».
Espérant que vous donnerez une suite positive aux présentes requêtes, nous vous prions, Monsieur le Président de la République, de bien vouloir agréer l’expression de notre haute considération.
Sidiki KABA Président de la FIDH
Eric SOTTAS
Directeur de l’OMCT