Kinshasa Cathédrale, 07-08-2018
Homélie
Ap 21, 1-7 ; Mt 25, 31-46
Éminence Monsieur le Cardinal,
Madame Yvette MBADU et enfants,
Excellences Messeigneurs les Évêques,
Honorables Messieurs et Mesdames les Députés et Sénateurs,
Excellences Messieurs et Mesdames les Ministres,
Excellences Messieurs les Gouverneurs,
Autorités politico-administratives, militaires et policières,
Distingués invités en vos titres et qualités respectifs,
Mesdames et Messieurs,
Chers frères et sœurs en Christ,
Que la Paix du Seigneur soit avec vous !
Le mardi 17 juillet à 17h30 à l’esplanade de la Cathédrale de Boma, S. Exc. Mr Jacques MBADU NSITU, Gouverneur du Kongo Central, nous dit au-revoir car le lendemain il devrait se rendre à Kinshasa pour assister à l’adresse du Président de la République au Congrès. Il nous annonçait également que par la suite il se rendrait en Europe et qu’il célèbrerait la fête de L’Assomption à Lourdes. Ce geste d’au revoir faisait suite aux entretiens que nous venions d’avoir avec lui sur la grotte mariale, véritable sanctuaire, qu’il venait de construire à côté de la Cathédrale de Boma, et qui sera inaugurée dimanche prochain, solennité de l’Assomption, fête patronale de cette Cathédrale. Aucun de nous tous qui étions là ne s’attendait à ce qu’il le retrouve aujourd’hui dans cette Cathédrale, couché, inerte et dans un cercueil. Voilà qui manifeste avec évidence la fragilité humaine. Nos ancêtres le disent avec justesse dans diverses sentences : [« Lufua butukaka na betu, lufua ke zinga na betu, lufua ketambula na betu » ; A Bayaya, ku kangala tu…TUYIZA ; A Mafua…ma yiza yetu; A ku biziami…BETU BAMVINGILA; Nkulutu fua, muana lezi fua; Mafua masalanga thangu ko]. L’évidence de la mort ne la rend cependant pas moins troublante ; elle demeure une dure épreuve humaine et chrétienne : elle fait tomber nos fausses sécurités, elle remet en cause nos motivations mal approfondies ou mal assimilées, elle provoque une révision de nos idées sur la vie et sur nos capacités de comprendre et d’accepter Dieu et autrui. On spécule aussi bien sur la nature de la mort que sur le sort du défunt lui-même, oubliant ainsi que la mort est un mystère dont la compréhension nous vient de Dieu et que seul Dieu est le juste juge (cf. 2 Tm 4, 8). L’Éternel, dont la « souveraineté s’impose d’âge en âge » (cf. Ps 145, 13) et à qui seul appartiennent la Gloire, la majesté, la puissance et la souveraineté» (Jde 1, 25) ne cesse de nous rappeler : Ô homme, « tu es poussière et tu retourneras en poussière » (Gn 3, 19) ; tes années passent comme une ombre (cf. Qo 6, 12). Chers frères et sœurs, laissons Dieu être Dieu ; ses pensées ne sont pas nos pensées, et nos chemins ne sont pas ses chemins. (cf. Isaïe 55, 1-11). Bika Nzambi yandi vuanda Nzambi, samu mabanza na yandi kele ya betu ve, mpe banzila na yandi kele mutindu ya nkaka.
Bien-aimés dans le Seigneur,
Face à la mort, nous chrétiens voulons renouveler notre espérance dans le Christ ressuscité. Les funérailles religieuses sont pour nous la célébration du mystère pascal du Christ offerte pour le défunt et comme consolation et espérance pour ceux qui pleurent sa disparition. Tout doit donc inviter à entrevoir au-delà de la séparation terrestre l’espérance de nous retrouver avec lui auprès de Dieu. C’est pourquoi la priorité est donnée à l’écoute de la Parole de Dieu, lumière dans nos doutes, espérance dans notre tristesse et force dans nos épreuves. Oui, c’est Yahvé Sabaot qui examine avec justice, qui sonde les reins et les cœurs [Jr 20, 12]…, qui perce les secrets des reins et des cœurs et rend à chacun selon ses œuvres. [Ap 2, 23] ; c’est de sa bouche que sortent le savoir et la vérité. [Pr 2, 6]
La page de l’Apocalypse de saint Jean que nous venons d’entendre lire dans la première lecture parle de la nouvelle vie après la mort comme une création nouvelle venue du ciel d’auprès de Dieu, où de mort, de deuil, de peine il n’y en aura plus ; où Dieu essuiera toute larme de nos yeux (cf. Ap 21, 4). L’Apocalypse affirme avec force qu’il ne s’agit pas là de vaines espérances, mais bien de promesses dignes de foi. De l’Évangile selon saint Matthieu, au 25è chapitre, qui nous avait été si bien commenté hier soir au palais du peuple, nous apprenons que seuls hériteront du Royaume préparé par le Père céleste ceux-là qui auront manifesté de l’amour en acte à l’égard des autres, en particulier envers les démunis, les déshérités, les plus petits auxquels Christ s’identifie personnellement. Jésus précise l’identité de ces déshérités : les affamés, les assoiffés, les étrangers, les sans vêtements, les malades, les prisonniers. En réalité, il s’agit de toute personne dans le besoin et à qui l’intervention libératrice est gratuite ; le bienfaiteur n’attend pas de récompense. Que peut vous offrir une affamé, un assoiffé, un malade, un prisonnier ? Le Royaume de Dieu appartient donc à ceux et celles qui sont capables de donner et de se donner sans compter de retour : argent, pouvoir, honneur, jouissances, avantages divers, etc. L’homme qui aime véritablement attend sa récompense du Seigneur non pas des humains.
Cet enseignement est au cœur du message du Christ. En saint Mathieu au chapitre 6 du 1er au 4è verset, dans son discours sur la montagne, Jésus est très explicite sur la détermination de la gratuité comme élément constitutif de l’amour véritable. C’est ainsi qu’à ses disciples il adresse ces paroles : « Évitez de faire vos bonnes actions devant les gens de telle façon qu’ils vous remarquent. Car alors vous n’avez pas de récompense à attendre de votre Père des Cieux. Donc, si tu donnes aux pauvres, ne fais pas sonner la trompette devant toi ; n’imite pas ceux qui jouent la comédie dans les synagogues et dans les rues, et qui veulent que les gens les admirent. En vérité, je vous le dis, ils ont déjà leur récompense. Pour toi, par contre, que ta main gauche ignore ce que fait ta main droite quand elle donne aux pauvres ; ainsi ton aumône restera chose secrète, et ton Père qui voit dans le secret te le rendra ». (Mt 6, 1-4)
Les pages de la Parole de Dieu que nous venons d’entendre nous révèlent la puissance de l’amour de Dieu. Dans sa souveraineté Dieu fait toutes choses nouvelles (cf Ap 21, 5) : aux pécheurs repentis il ouvre la porte du Royaume, les faibles sont rendus forts, les découragés sont animés de l’espérance. Tous nous sommes invités à prendre part au festin du Royaume en reconnaissant, par l’action de grâce et la louange, les merveilles de Dieu en nous et autour de nous, et en nous mettant à l’école de Jésus-Christ son Fils unique : là où il y a un geste gratuit, de quelque nature qu’il soit, là se manifeste le Royaume de Dieu. La gratuité est un signe de la création nouvelle, car elle évacue les rapports fondés sur des intérêts égoïstes ; elle écarte la lutte pour une survie individualiste ; elle favorise la solidarité qui allège le poids de la souffrance.
Ces interpellations de la Parole de Dieu projettent une lumière sur le témoignage de notre frère Jacques MBADU. Saisissons le message qu’il nous livre et sentons nos mains chargées de ce qu’il nous laisse inachevé. S. Exc. Mr Jacques MBADU, chrétien, homme politique et homme d’affaires, a essayé d’accorder une grande importance aux appels que lance la Parole de Dieu. Ceux et celles qui ont vécu avec lui ou proche de lui peuvent rendre présents à notre mémoire des moments de l’histoire qui les ont rapprochés de lui. Ils peuvent, par la pensée, le revoir à l’œuvre dans des situations concrètes de sa vie comme époux, père, engagé dans la politique, dans les affaires, comme citoyen, chrétien catholique convaincu et très engagé, fortement marqué par la dévotion mariale, mais pourtant très ouvert à toute forme de croyance religieuse. La trainée humaine provoquée par son décès, la foule immense qui accompagne sa dépouille mortelle depuis la morgue, les divers témoignages sur lui prouvent à suffisance la carrure de celui que nous pleurons. On l’a dit et je voudrais le redire : Jacques MBADU NSITU a été un véritable Bulldozer, un Ouragan, un bâtisseur, un Visionneur, un Manager, un travailleur infatigable et perspicace. S’il on l’appelait populairement « Jacques ba moyens », ce n’est pas nécessairement parce qu’il avait toujours de moyens, mais parce qu’il était généreux, parce qu’il savait donner le peu qu’il avait et qu’il vivait toujours de l’espérance d’en avoir encore pour partager.
Bien-aimés dans le Seigneur,
Il est certain que la vie de S. Exc. Mr Jacques MBADU, comme celle d’un chacun d’entre nous, n’a pas été exempte d’imperfections. C‘est pourquoi, en même temps que nous lui exprimons notre gratitude, implorons pour lui la miséricorde de Dieu et disposons nos propres cœurs à lui pardonner. N’oublions pas que le Gouverneur Jacques MBADU laisse de nombreux membres de famille, notamment sa veuve et ses enfants : portons-les aujourd’hui de façon particulière dans nos prières. C’est à nous qu’il les confie pour les soutenir et les entourer de notre affection fraternelle, à la manière dont le Christ sur la croix a confié sa mère à son ami Jean. Demandons à Dieu de les consoler, de faire grandir en eux la foi, l’espérance et la charité, de les garder dans l’unité.
À vous-mêmes chers frères et sœurs, membres de famille de S. Exc. Mr Jacques MBADU NSITU,
Votre peine est aussi la nôtre. Alors que nous pleurons notre frère Jacques, le Seigneur est au milieu de nous pour nous dire : « C’est moi qui suis la résurrection et la vie. Celui qui croit en moi, même s’il vient à mourir, vivra. » (Jn 11, 25) Que la mort de celui qui vous aime et que vous aimez soit pour toute la famille un ferment d’unité, de communion et de paix. Soyez ses principaux et véritables héritiers capables de conserver et de faire prospérer le bien qu’il a laissé inachevé.
Excellence Monsieur le Président de la République,
Notre profonde gratitude pour s’être personnellement investi dans l’organisation des funérailles de notre Gouverneur. C’est une grande fierté pour nous : le Kongo Central, le Bas-Fleuve, la ville de Boma où se trouvera à jamais sa dernière demeure terrestre, le Mausolée dont vous avez déjà fait initier la construction.
Chers frères et sœurs ne-kongo,
Jacques MBADU NSITU, notre Gouverneur, n’est plus. Nous perdons un frère, un homme d’État, un homme politique, un homme d’affaires ; faisons fructifier les bonnes semences qu’il a semées ; arrachons et brûlons les mauvaises herbes. Les hommes passent, les Institutions demeurent. Saisissons cette occasion pour nous ouvrir aux appels de la Parole de Dieu. Dans notre commune mission de bâtir ensemble un Congo plus beau qu’avant, soyons présents au rendez-vous du donner et du recevoir ; ne manquons pas les grands tournants de notre histoire à cause de vaines considérations souvent stériles parce qu’égoïstes. Renforçons dans notre vie quotidienne et professionnelle la mise en pratique des valeurs légendaires de notre chère Province : gratuité dans les relations, sens du bien commun, humilité et simplicité dans les attitudes et comportements, rigueur dans le travail, honnêteté, vérité, tolérance, sens de l’accueil, respect de la vie et haute considération du sacré.
Bien-aimés dans le Seigneur : vous tous qui êtes ici présents,
Si nous sommes ici, c’est, certes, pour accompagner notre frère Jacques MBADU NSITU à sa dernière demeure terrestre ; c’est pour entourer de notre affection fraternelle la famille qu’il laisse. Mais notre présence dans cette Cathédrale est d’abord pour louer le Seigneur pour tant de bonté : Il nous avait donné Jacques MBADU NSITU et dans sa Souveraineté il l’a appelé auprès de lui ; Il a réalisé bien des choses par lui et à travers lui, Il a fait de nous tous des frères et sœurs. Que ce nom soit loué et que sa volonté soit faite.
La mort de notre frère Jacques MBADU NSITU, comme toute mort, nous introduit dans le mystère de notre propre mort. Nous comprenons finalement que nous sommes des pèlerins sur cette terre, nous n’y sommes que de passage. S’il est vrai que tous nous sommes appelés à ressusciter avec le Christ, il n’en demeure pas moins vrai qu’accéder à la résurrection ne va pas sans frais. Les hommes de Ninive ressusciteront pour le jugement car eux se sont convertis à la prédication de Jonas (cf. Mt 12, 41). Oui, à la parole du Serviteur de Dieu, les gens de Ninive crurent en Dieu ; ils proclamèrent un jeûne et s’habillèrent de sacs, depuis le plus grand jusqu’au plus petit. Dieu vit ce qu’ils faisaient et comment ils renonçaient à leur mauvaise conduite ; alors Dieu se repentit du mal qu’il avait prédit de leur faire, il ne le fit pas (cf. Jonas 3, 5-10). La Parole de Dieu que nous venons d’entendre est plus puissante que la prédication de Jonas. Que devons-nous donc faire ? À cette question, le prophète Michée nous donne la réponse : « Homme, le Seigneur t’a fait savoir ce qui est bien, ce qu’il réclame de toi : rien d’autre que pratiquer la justice, aimer la miséricorde et marcher humblement avec ton Dieu » (Mi 6, 8).
Que son âme repose en paix, Amen.
Mbuka Cyprien, cicm
Évêque de Boma