A l’occasion du 53ème anniversaire de la mort du Président Joseph Kasa-Vubu (24 mars 1969 – 24 mars 2022), ancien Président Général de l’ABAKO et premier Président de la République Démocratique du Congo, élu démocratiquement en 1960, lors de l’accession de notre pays à l’Indépendance, nous avons choisi de commémorer cette date en réfléchissant sur la pensée politique de cet illustre personnage, que nous nommons par le concept de « Kasavubisme ».
Nous allons commencer notre exposé par la présentation d’une brève biographie du Président Joseph Kasa-Vubu, avant de parler de sa pensée politique.
- NOTES BIOGRAPHIQUES DU PRESIDENT JOSEPH KASA-VUBU
Le Président Joseph Kasa-Vubu est né en 1917, au Mayombe, dans le
Village Kinkuma Dizi, Groupement Dizi, Secteur de Bula-Naku, Territoire de Tshela, ex-District du Bas-Fleuve, dans l’actuelle Province du Kongo Central.
Il était le 8ème enfant d’une famille de 9 enfants, de papa Mvubu Tsiku et maman Mavungu Phoba.
Il a fait, de 1925 à 1928, ses études primaires à la mission catholique de Kizu, puis ses humanités latines, de 1928 à 1936, au Petit Séminaire de Mbata-Kiela, dans le Mayombe, avant d’étudier la philosophie, de 1936 à 1939, au Grand Séminaire de Kabwe, près de Kananga, dans l’actuelle Province du Kasaï Central.
Ses formateurs ne lui ayant pas donné l’occasion de poursuivre les études de théologie au Grand Séminaire de Kabwe, pour devenir prêtre, Joseph Kasa-Vubu sera autorisé à retourner dans le Mayombe, à la mission catholique de Kangu, où il va recevoir en 1940, une formation de moniteur à l’école normale de Kangu, pour devenir enseignant de 6ème année dans cette même école normale.
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En 1941, Kasa-Vubu, qui était mécontent du traitement social lui réservé comme enseignant à la mission catholique de Kangu, obtient un poste d’enseignant à l’Agrifor de Lemba, et en profite pour épouser en cette même année 1941 maman Hortense Ngoma Masunda, originaire du Village Tsinga-Phanda, près de la mission catholique de Kangu.
Après avoir passé un examen d’entrée dans l’administration publique à Boma, Joseph Kasa-Vubu qui venait de travailler pendant quelques mois à l’Agriumbe de Luki, près de Lemba/Mayombe, et aux bureaux de douane de l’OTRACO/Boma, est finalement engagé en 1942 à l’Administration centrale à Léopoldville, comme Commis affecté au service des finances du Gouvernement général où il travaille aux magasins généraux chargés d’assurer l’approvisionnement de tous les services gouvernementaux de la colonie du Congo Belge.
En 1946, Joseph Kasa-Vubu est élu Secrétaire Général de l’ADAPES (Association des Anciens Elèves des Pères de Scheut) dont le Président était Jean Bolikango. C’est dans le cadre de l’UNISCO (Union des Intérêts Sociaux des Congolais), plateforme regroupant les principaux dirigeants des associations d’anciens élèves dont l’ADAPES (Association des Anciens Elèves des Pères de Scheut) ; l’ASSANEF (Association des Anciens Elèves des Frères) ainsi que l’UNELMA (Union des Anciens Elèves des Frères Maristes) que Joseph Kasa-Vubu a prononcé sa célèbre et historique allocution : « Le droit du premier occupant ».
Le 21 mars 1954, Joseph Kasa-Vubu est élu Président Général de l’Association des Bakongo (ABAKO), une association culturelle pour unifier, conserver et perfectionner la langue Kikongo, fondée par mbuta Edmond NZEZA NLANDU en 1950.
Elu Conseiller municipal de la Commune de Dendale en décembre 1957, puis Bourgmestre de cette même commune en 1958, Joseph Kasa-Vubu sera arrêté le 08 janvier 1959 avec ses pairs de l’ABAKO, à la suite des émeutes du 04 janvier 1959.
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Libéré le 14 mars 1959, Joseph Kasa-Vubu crée le cartel ABAKO-MNC/Kalonji – PSA en juin 1959, pour négocier l’Indépendance du Congo dans le cadre d’un Etat fédéral, après avoir réuni en Congrès à Kisantu, du 24 au 27 décembre 1959, les partis politiques nationalistes fédéralistes.
Il participe à la Conférence de la Table-Ronde politique de Bruxelles, du 20 janvier au 20 février 1960, où il soutient en vain que la Table Ronde siège en Constituante et la formation d’un Gouvernement provisoire devant conduire le Congo Belge à l’Indépendance.
De retour de la Table Ronde, Joseph Kasa-Vubu est désigné en mars 1960 membre du Collège Exécutif Général chargé des Finances et des Affaires Economiques, il y représente la Province de Léopoldville.
Aux élections législatives de mai 1960, Kasa-Vubu est élu Député national de l’ABAKO dans la Ville de Léopoldville, avec Edmond Nzeza Nlandu et Michel Colin, ensuite il sera élu Président de la République, Chef de l’Etat du Congo, le 24 juin 1960, et proclame l’Indépendance de notre pays le 30 juin 1960, en présence du Roi des Belges Baudouin Ier.
Comme Président de la République entre 1960 et 1965, il fait admettre notre pays à l’ONU en septembre 1960 ; participe à la création de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) en 1963, à laquelle notre pays va adhérer ; il contribue à la réunification du pays en mettant fin aux sécessions du Katanga et du Sud-Kasaï en 1962 et 1963 et de la Province Orientale en 1964, met fin à la rébellion muléliste dans le Kwilu ; il fait adopter par référendum populaire la Constitution fédéraliste du 1er août 1964 dite de Luluabourg, et fait organiser dans les délais constitutionnels les élections législatives et provinciales en mars et avril 1965.
Renversé par le coup d’Etat du Général Mobutu, le 24 novembre 1965, il mourra à Boma où il a vécu en résidence surveillée, le 24 mars 1969, et sera inhumé le 30 mars 1969 dans son Village maternel de Lukamba Bemba dans le Groupement Singini, Secteur de Lubolo, Territoire de Tshela, dans l’actuelle Province du Kongo Central, après des hommages nationaux et officiels à Léopoldville.
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- LA PENSEE POLITIQUE DU PRESIDENT JOSEPH KASA-VUBU
La pensée politique du Président Joseph Kasa-Vubu se résume
essentiellement en ces thèmes : la démocratie, le fédéralisme, la justice distributive, la bonne gouvernance, la sauvegarde de l’indépendance, de la paix et de l’unité nationale.
- La démocratie
Dès le début de son combat politique dans les années 1940, Joseph
Kasa-Vubu a toujours défendu la démocratie, ce système politique qui permet au peuple de se choisir librement ses représentants au cours des élections régulièrement organisées dans la transparence.
C’est dans un esprit que Joseph Kasa-Vubu n’a accédé au pouvoir durant toute sa carrière politique que par la voie démocratique, avec son élection le 24 mars 1954 comme Président Général de l’ABAKO, comme Conseiller municipal, puis comme Bourgmestre de Dendale (actuelle Commune de Kasa-Vubu) en 1957 et 1958, réélu Président Général de l’ABAKO en février 1958 ; élu Député national de l’ABAKO en mai 1960, puis Président de la République élu démocratiquement au second degré par les Sénateurs et les Députés le 24 juin 1960 ; et de nouveau élu Député national en avril 1965 pendant qu’il était Chef de l’Etat.
Le système démocratique a ses exigences dont l’indépendance de la justice, la liberté de la presse et le respect des droits humains.
- Le fédéralisme
Le fédéralisme est d’abord une pensée socio-philosophique et une
pratique politique qui consiste à organiser un Etat à deux niveaux d’exercice du pouvoir politique, à savoir : le niveau national ou l’Etat fédéral et le niveau provincial (régional) ou de l’état fédéré.
En tant que pensée socio-philosophique, le fédéralisme se conçoit comme une doctrine politique pour ceux qui le prônent.
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Comme pratique politique, le fédéralisme est un mode de gouvernement où l’Etat fédéral partage les compétences avec les entités fédérées que sont les provinces ou les régions.
Le fédéralisme, comme forme de l’Etat, est une union qui suppose l’unité de l’Etat fédéral au sommet, avec une autonomie politique à la base au niveau des états fédérés, et une participation de ces derniers au fonctionnement de l’Etat fédéral.
D’où les concepts de l’unité dans la diversité, lorsqu’on définit le fédéralisme en des mots simples.
Le Président Joseph Kasa-Vubu, qui prônait le fédéralisme, estimait avec raison, qu’il est la forme de l’Etat qui peut concilier dans notre pays le souci de l’unité nationale et le besoin de respecter les diversités culturelles et communautaires du pays dans un système de démocratie pluraliste.
C’est ainsi que déjà en 1956, Joseph Kasa-Vubu va soutenir le Professeur belge Van Bilsen lequel prônait le fédéralisme pour le Congo Belge, en déclarant notamment ce qui suit : « C’est une utopie de vouloir rallier tous les congolais à une même opinion. L’auteur du plan de trente ans pour l’émancipation politique de l’Afrique belge conseille une Fédération congolaise. Nous croyons qu’il est sur le droit chemin. En partant du principe de Rousseau que tout ce qui n’est point dans la nature a ses inconvénients et puisque la vraie union des peuples congolais ne pourra se réaliser que par la voie de l’évolution politique, cette évolution dans le sens du progrès démocratique doit commencer sur base de ce qui existe » (Tiré de ABAKO 1950- 1960, les dossiers du CRISP, 1962, page 41).
A la veille de l’Indépendance de notre pays, pendant que le débat entre les fédéralistes regroupés autour de l’ABAKO (Cartel ABAKO-PSA-MNC/Kalonji-Parti du Peuple) et les unitaristes ( MLC/Lumumba et Alliés) était à son comble, c’est toujours Joseph Kasa-Vubu dans sa vision de la transformation des structures politiques issues de l’héritage politique et institutionnel qu’allaient léguer les Belges, dans un sens qu’il estimait plus conforme aux particularités du pays, qui a pris l’initiative de tenir à Kisantu, du 24 au 27 décembre 1959, le Congrès des partis nationalistes fédéralistes (Alliance des Bakongo-ABAKO,
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Parti Solidaire Africain-PSA, Mouvement National Congolais-MNC/Kalonji, Parti du Peuple, Alliance des Bayanzi-ABAZI, Parti de la Défense du Peuple Lulua, Fédération Générale du Congo, Baluba du Katanga-Balubakat ).
Dans sa résolution n° 1, le Congrès de Kisantu « a réaffirmé sa conviction dans le fédéralisme, seule formule capable d’assurer le développement harmonieux et l’épanouissement normal de tous les habitants ».
Dans sa résolution n° 2, le Congrès de Kisantu « a estimé qu’au regard de la diversité des mœurs et des coutumes des populations du pays, la structure fédérale est la plus viable dans un Congo Indépendant pour garder son unité tant souhaitée (Tiré de « ABAKO 1950-1960, les dossiers du CRISP, 1962, page 41 »).
Devenu Président de la République le 24 juin 1960, Joseph Kasa-Vubu a convoqué la Commission Constitutionnelle siégeant à Luluabourg, du 10 janvier au 11 avril 1964 qui a élaboré la Constitution fédéraliste, dite Constitution de Luluabourg, promulguée le 1er août 1964 par le Président Joseph Kasa-Vubu, avec le contreseing du Premier Ministre Moïse Tchombe, du Ministre de l’Intérieur Godefroid Munongo et du Ministre de la Justice Léon Mamboléo, après qu’elle a été soumise au référendum populaire du 25 juin au 10 juillet 1964.
Après l’adoption de cette Constitution instituant une démocratie fédéraliste au Congo, Joseph Kasa-Vubu a cru avoir donné un bon départ au pays, car n’eût été le coup d’Etat de Mobutu du 24 novembre 1965 ayant donné un brusque coup d’arrêt au processus institutionnel mis en place par la Constitution du 1er août 1964, la démocratie fédéraliste telle que voulue par Kasa-Vubu se serait ancrée, et avec, sait-on jamais, un développement harmonieux et durable du pays.
- La justice distributive
Le Président Joseph Kasa-Vubu a effectivement pratiqué la justice
distributive, de par son souci ainsi que sa ferme volonté, en tant que Chef de l’Etat, entre 1960-1965, de recommander au Parlement et au Gouvernement,
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le partage équitable du revenu national, notamment par la politique des salaires décents tenant compte du minimum vital.
En cela, les émoluments et traitements de tous les Agents de l’Etat, du Président de la République à l’Huissier, étaient connus parce que publiés officiellement, soit 75.000 FC (2.000 USD) pour le Président de la République et 10.000 FC (200 USD) pour l’Huissier (Témoignage de Monsieur Joseph Kasongo, membre du MNC/Lumumba et Président de la Chambre des Représentants en 1960, publié dans le Journal le Baobab numéro 9, d’octobre 1990,page 15, repris dans l’ouvrage « KASAVUBU, Père de l’Indépendance du Congo-Zaïre, Publications de l’Institut de Formation et d’Etudes Politiques/IFEP, Kinshasa 1991, pages 157 à 159).
- La bonne gouvernance
Le Président Joseph Kasa-Vubu était l’homme politique et d’Etat qui
a prôné, tant par la pensée que par l’action, la bonne gouvernance par le strict respect du bien public. Son histoire, en tant que Chef de l’Etat entre 1960 et 1965, est parsemée de beaucoup d’exemples vécus par ses contemporains qui témoignent de son sens élevé de l’Etat, par le respect du bien public, comme la remise au Trésor public du reliquat des frais de mission après ses voyages officiels dans le pays et à l’étranger, son refus du favoritisme et de la corruption.
- La sauvegarde de l’indépendance, de la paix et de l’unité nationale
Joseph Kasa-Vubu est le père par excellence de l’Indépendance de
notre pays, car c’est lui qui a le premier mené le combat pour l’Indépendance de notre pays à travers l’ABAKO, car déjà à partir de 1956, il a réclamé ouvertement l’Indépendance immédiate et inconditionnelle du pays dans ses discours. En janvier 1959, il a fait l’objet d’une arrestation avec ses pairs de l’ABAKO par le pouvoir colonial belge, à la suite des émeutes du 04 janvier 1959 consécutives au meeting interdit de l’ABAKO qui devrait être consacré à la question de l’Indépendance de notre pays.
Le refus du Cartel ABAKO (regroupement des partis politiques nationalistes fédéralistes) dont il était le Président, du plan de décolonisation par étapes du Congo Belge contenue dans la Déclaration du Gouvernement Belge du 13 janvier 1959, a été à la base de la convocation de la Table Ronde Politique de Bruxelles, du 20 janvier au 20 février 1960, qui a décidé de
l’Indépendance du Congo Belge le 30 juin 1960, dont il sera à juste titre le premier Président de la République.
Son attachement à la paix et à l’unité nationale est démontrée par sa farouche volonté de réconcilier ses pairs, hommes politiques de son temps impliqués dans des conflits fratricides peu avant et après l’Indépendance de notre pays, notamment dans le Kasaï, le Katanga, la Province Orientale, le Kivu, ce qui explique qu’il ait accepté sans gêne de travailler pendant les cinq années de son mandat à la Présidence de la République avec cinq Premiers Ministres différents, tous issus des Provinces et partis politiques autres que les siens.
S’agissant de son attachement à l’indépendance et à l’unité nationale, il faut noter que le Président Joseph Kasa-Vubu a pu sauvegarder l’unité nationale face aux périls de l’éclatement du pays, il a par ailleurs recommandé à la Nation, avant sa mort à Boma, la sauvegarde de l’Indépendance nationale, à titre de testament politique, par le canal de Monseigneur Raymond Ndudi Nianga, ancien Evêque de Boma, lorsque ce dernier lui administrait le dernier sacrement.
Démocratie, fédéralisme, bonne gouvernance, justice distributive, attachement à l’indépendance, à la paix et à l’unité nationale, sont là des éléments essentiels de la pensée politique du Président Joseph Kasa-Vubu, qui sont autant des valeurs politiques que l’ABAKO est appelée à perpétuer pour relever les défis de développement qui se posent dans notre Pays.
Fait à Kinshasa, le 24 mars 2022
Maître PUATI NGOMA
Directeur du Bureau Politique de l’ABAKO