Le parti politique ABAKO partie prenante des Forces Politiques et Sociales Alliées de l’UDPS (FPAU) au sein de l’Union Sacrée entend porter haut l’étendard des valeurs positives qu’incarnait le premier Président de la République Joseph Kasa-Vubu dont l’engagement politique fut un apostolat, un service, une diaconie, l’intérêt supérieur de la nation, toujours au-dessus de l’intérêt personnel. Il s’agit pour le Président Général Docteur Pierre Anatole Matusila en ce jour anniversaire du 4 janvier 2022 devant les partisans du Kimuntu Kasavubiste de la Commune révolutionnaire de Selembao, 63 ans après les émeutes qui vont déclencher le processus de l’accession de notre accession à la souveraineté nationale et internationale, de réhabiliter dans la mémoire collective, l’image de ce Père Fondateur, en reconnaissant à ses héritiers politiques la place qu’ils méritent. Un Plaidoyer afin que les dépositaires de son œuvre héroïque plutôt exemplaire aient voix au chapitre dans les cercles où se décide le destin de notre peuple.
L’INSURRECTION DE 4 JANVIER 1959
01. Introduction
Nous savons tous ce qui nous réunit ici : c’est la date historique du 04 janvier 1959 dont l’événement qui s’y attache a joué un rôle déterminant dans l’histoire de notre pays, la République démocratique du Congo, mais qui, malheureusement, n’est pas célébrée à la mesure de ce qu’elle représente réellement pour son destin.
Au nom de l’Alliance des Bâtisseurs du Kongo, « ABAKO » en sigle, je remercie chacun de vous d’avoir accepté de rehausser de votre présence cette cérémonie, pour commémorer cet événement et vous souhaite la bienvenue en ce lieu.
Avant de me focaliser sur cette date, tout me référant à l’histoire des Peuples et des Nations, qu’il me soit permis de rappeler à la conscience collective congolaise que «toute révolution est d’abord une volonté de rupture». Cela suppose donc constat de l’échec de l’ancien et projection dans l’objet du désir collectif, même si on ne perçoit pas immédiatement tous les contours.
Perçue comme telle, cette « révolution » implique une préparation à la rupture au niveau individuel et collectif. Le processus pour y parvenir doit, avant toute chose, s’insinuer tant dans les valeurs et que dans l’esprit avant d’atteindre une maturation collective. Il a en outre besoin d’un starter pour s’enclencher et d’un ferment pour s’amplifier. Oui, l’histoire des Peuples et des Nations qui ont émergé après s’être affranchis du joug colonial montre que « l’esprit révolutionnaire peut se mettre en veilleuse, disparaître pour rejaillir plus loin ; car une pensée qui a saisi l’aspiration profonde d’un peuple finit toujours par s’incarner ». Cette pensée à la fois philosophique et politique de Maurice Kamto, avocat, universitaire et homme politique camerounais, conviendrait pour souligner l’importance et la place qu’occupe la date du 04 janvier 1959 dans l’histoire de notre pays.
02. Quel sens donner au 04 janvier 1959 ?
Que puis-je encore dire de cette date tant de fois commentée par les hommes politiques et les historiens congolais? Je serais tenté de dire que « Tout a été dit ou presque». Cependant, au moment où nous célébrons, ici même dans la commune populaire de Selembao, le 63me anniversaire (04 janvier 1959 – 04 janvier 2022) du déclenchement de l’insurrection populaire qui a constitué un événement décisif dans le cheminement de notre pays vers l’indépendance, je voudrais, en ma qualité du Président Général de l’Alliance des Bâtisseurs du Kongo, ABAKO, ce parti né des cendres de l’Alliance des Bakongo qui, elle-même, est le rejeton de l’Association des Bakongo fondée, comme on le sait, en 1950 par Edmond Nzeza Nlandu, m’appesantir sur ce que je considère comme étant un élément essentiel lié à cette date.
Pour moi, et pour beaucoup de Congolais d’ailleurs, le 4 janvier 1959 fut la seule date qui témoigne de la dynamique du mouvement de libération de notre pays du joug colonial. C’est une date fondatrice à partir de laquelle tout s’est précipité jusqu’à l’accession de notre pays à la souveraineté nationale et internationale. L’histoire de notre pays montre que ce que la Belgique voulait nous offrir en 30 ans, nous l’avons arraché en 18 mois seulement. En effet, sous la direction de Joseph Kasa-Vubu, l’ABAKO a fait vaciller les fondements d’un système avilissant et rétrograde. Voilà l’essentiel que chacun de nous doit retenir de cette date.
L’histoire des Peuples nous apprend qu’une Nation ne se construit véritablement qu’autour des gens qui luttent de façon constante et consistante contre la servitude et l’assujettissement. Nous rendons hommage à tous ces artisans héroïques qui ont payé de leur vie pour que se réalise le rêve d’un Congo libre et indépendant. C’est grâce à leur sacrifice que ce rêve est devenu aujourd’hui une réalité.
Je profite de ce qui nous réunit aujourd’hui pour dire à la communauté nationale que la commémoration des événements qui ont marqué l’histoire de notre pays devrait être des occasions de réveil de conscience pour une re-mobilisation du peuple dans un projet global de refondation et d’appropriation de l’Etat congolais et aussi des occasions pour repenser la visée de notre action politique perçue comme force de transformation qualitative de notre existence collective.
Le fait que, dans l’histoire politique de notre pays, la commémoration de cette date est restée, depuis longtemps, une affaire essentiellement privée de l’ABAKO illustre pourquoi nous continuons à vivre la crise de l’effort pour l’indépendance. Oui, 62 ans après l’indépendance de notre pays, nous continuons à vivre la crise de l’effort pour l’indépendance. Cela doit nous amener à réfléchir sur ce constat.
A l’instar de certains peuples assujettis par la colonisation mais qui ont fini par se libérer du joug colonialiste, l’homme Congolais doit savoir que, dans un pays, l’effort pour l’indépendance, objet permanent de diverses convoitises, est une lutte ininterrompue, dans le processus de la reconstruction nationale, pour conquérir et reconquérir sans cesse notre indépendance, notre liberté et notre autonomie.
« Débout Congolais », notre hymne national, expression de notre projet de société commun, fondé sur la poursuite de l’effort pour l’indépendance, comme orientation dynamique de la construction de la Nation congolaise, ne guide pas vraiment les pensées et les actions des dirigeants Congolais.
Si nous sommes vraiment unis par le « sort » comme nous le chantons dans notre hymne national, il s’agit bel et bien du « sort » de la colonisation. C’est tout un enseignement. En effet, la cohabitation imposée des communautés tribales par le Royaume de Belgique était marquée par la politique de « diviser pour régner », en opposant les communautés tribales et ethniques les unes contre les autres pour perpétrer l’ordre colonial.
« Unis par le sort », nous devrions l’être davantage dans l’effort pour l’indépendance. Que cela veut-il dire ? Contraints de vivre ensemble dans la colonie, les Congolais avaient choisi en toute liberté de continuer de vivre ensemble après l’obtention de l’indépendance de leur pays. Ce n’est pas un mauvais choix si l’on doit se référer aux pays dits développés.
Dans ces pays, l’Etat est le résultat d’un processus historique. Dans ces pays aussi, la Nation précède l’Etat. Leurs citoyens ont réalisé un consensus relativement solide sur certaines valeurs fondamentales et fondatrices ou sur des questions majeures qui ne sont pas remises en cause et qui expriment la solidité du système tout en acceptant la possibilité d’une certaine dissension sur le reste. Institutions administratives et politiques, choix des actions, échelles des priorités etc., ces domaines sont laissés à un jeu entre les forces politiques et sociales, les règles du jeu étant plus ou moins acceptées.
En revanche en Afrique et suite à la colonisation, l’Etat précède la Nation. L’objectif majeur après les indépendances serait de construire la Nation autour de vouloir vivre ensemble, c’est-à-dire, opérer une convergence ponctuelle sur des questions majeures avec possibilité de dissension sur les autres.
C’est bien dommage que l’exigence de Joseph KASA-VUBU de transformer la Table ronde de Bruxelles en une constituante pour discuter des règles de jeu devant régir notre « vivre ensemble », autour d’un idéal commun, n’a pas été soutenu par d’autres délégués. La loi fondamentale élaborée par les Belges ne pouvait remplacer cette Charte possible suggérée par le Président de l’ABAKO. La Constitution de Luluabourg de 1964, élaborée par une Constituante et adoptée par référendum populaire, était un moyen de relancer l’effort pour l’indépendance que Kasa-Vubu et l’ABAKO ont toujours inscrit dans une dynamique de restructuration fédérale du pays. Hélas ! Le coup d’Etat de 1965 réalisé par le Général Mobutu écourta, malheureusement, les bénéfices escomptés.
Le fait que notre pays continue de connaître des crises sans fin, démontre qu’il n’y a pas, bien souvent, d’accord sur les héritages à consacrer. Qu’on se le dise : l’opposition entre unitarisme (noyautage des identités communautaires) et fédéralisme (autodétermination des communautés revendiquant une identité socioculturelle et politico-administrative à disposer d’elle-même) n’a pas encore été résolu. Le récent compromis sur la Décentralisation reste donc précaire.
03. Eléments pour une sociologie politique de l’émeute du 4 janvier 1959
Je rappelle à tous présents ici que nous sommes venus commémorer l’insurrection populaire du 04 janvier 1959 qui a précipité l’accession de notre pays à l’indépendance. Ainsi, pour mieux cerner les véritables contours historiques de cette date, qu’il me soit permis de rappeler certains « éléments » historiques qui donnent du sens non seulement à l’histoire de l’indépendance de notre pays mais également à la sociologie politique de cette émeute qui a secoué Léopoldville du 04 au 07 janvier 1959.
03.1. Le 04 janvier 1959 au regard du contexte africain et international
La Charte des Nations Unies, publiée à San Francisco en 1945 après la fin de la 2ème guerre mondiale, marque officiellement le début de la décolonisation. Le vent des indépendances a commencé à souffler sur le continent africain dans les années 50. A titre illustratif, la Libye a acquis son indépendance en 1951, l’Egypte en 1953, le Maroc en 1956, le Ghana en 1957. S’agissant de notre pays, la politique coloniale belge de paternalisme était différente de celle pratiquée par leurs homologues français qui prônaient l’assimilation et britanniques qui ont cherché à appliquer l’administration indirecte. Cela a eu pour effet de retarder la participation des Congolais dans l’apprentissage de la gouvernance politique de leur pays.
Déjà en 1944, à la Conférence de Brazzaville, les Colonies françaises d’Afrique affichent leur volonté d’entreprendre une certaine décentralisation en associant progressivement les peuples colonisés à la gestion de la chose publique. En 1946, par exemple, La France publie un décret introduisant les élections et la liberté de la presse et d’opinions dans ses colonies.
La Belgique, quant à elle, fit semblant de suivre le mouvement, tout en mettant en œuvre un programme adapté pour, permettez-moi l’expression, « ré indigéner » le monde rural et un autre plus approprié pour les habitants « détribalisés » du milieu urbain et des centres extra-coutumiers. Pour la réussite de ces deux programmes, la propagande coloniale s’est emparée essentiellement des projections cinématographiques jouées par les acteurs congolais, en s’appuyant sur les cultures et langues africaines, pour en faire un instrument de savoir et du pouvoir.
« Pourquoi le cinéma ? », peut-on m’apostropher. La réponse est simple : instrument de prédilection pour la propagande officielle, le cinéma avait un potentiel d’attraction important auprès des indigènes, et constituait un puissant moyen pour les attirer et les retenir afin de leur imposer les projets politiques, économiques et sociaux. Un autre avantage et non des moindres pour le colonisateur est qu’il ne passe pas par la lecture et l’écrit face à une «communauté primitive des illettrés ». Heureusement, il y a eu 1954.
En cette année, une coalition libéral-socialiste gagne les élections en Belgique et nomme un Ministre libéral de colonie, en la personne de Monsieur Auguste BUISSERET. Cette élection change la donne. M. BUISSERET met fin aux accords historiques entre les autorités coloniales majoritairement catholiques et l’Eglise qui accordait aux missions le monopole du secteur de l’enseignement. C’est le début de l’enseignement officiel laïc, détaché de tout lien avec les missions catholiques. Depuis leur rôle dans l’enseignement mais aussi dans le cinéma est en quelque sorte dévalorisé.
Ce prélude à la crise entre les milieux catholiques traditionnels et les mouvements laïcs (composant une nouvelle génération d’hommes politiques belges de gauche et des chrétiens progressistes), sensibilisés aux mouvements de décolonisation dans le monde et l’action politique des Congolais (les Bangunza et l’Abako) revendiquant un nationalisme congolais plus radical, annoncent de manière tangible la voie vers la décolonisation.
Ce bouleversement sociopolitique, faut-il souligner, a pris de court la Belgique qui ne s’était pas préparée à quitter sa Colonie modèle, sa Colonie fidèle et soumise qu’était le Congo.
C’est dans ce contexte qu’Anton Arnold Jozef Van Bilsen (connu sous le nom de Jef Van Bilsen), alors Directeur d’un centre d’études africaines, publie en 1956 un Plan de Trente ans pour l’émancipation politique de l’Afrique belge, entendez par-là le Congo Belge, le Rwanda et le Burundi. Pour cet illustre universitaire belge et éminent juriste, il fallait, entre autres, tabler sur l’éducation de toute une génération pour bien préparer les cadres et former les élites de l’Afrique Belge à prendre en main le destin de leurs pays. Comme on pouvait s’y attendre, la publication de ce Plan suscita des réactions tant du côté des belges que des Congolais.
Côté congolais, ce Plan fut à la base de l’agitation qui conduisit à la rédaction, en 1956, du désormais célèbre Manifeste de conscience africaine, une œuvre du groupe des évolués (composé des jeunes intellectuels pour la plupart employés d’administration publique ou dans des entreprises privées) regroupés autour de l’Abbé Joseph MALULA pour le renforcement de leurs capacités.
Il n’est pas de mon intention de me focaliser sur cette publication qui a connu un immense succès auprès des élites congolaises. Je voudrais tout simplement signaler que cette publication fut immédiatement suivie de la réaction du seul mouvement social structuré de l’époque, je cite : l’ABAKO qui publia, en août 1956, un document intitulé « Contre-Manifeste de Conscience africaine».
Ce texte qui se distingue du « Manifeste de Conscience africaine » non seulement parce qu’il revendique l’indépendance « pour aujourd’hui même » et que, sans rejeter explicitement la perspective d’une « communauté belgo-congolaise », il témoigne clairement de son hostilité à cette idée, mais aussi parce que, s’opposant à la vision nationaliste unitaire de Conscience africaine et invoquant à cet égard le Plan de Trente ans de Jef Van Bilsen, il plaide pour l’instauration d’une « fédération congolaise » pensée sur des bases ethniques ou ethnico-régionales. Au-delà de cette plaidoirie, dans son « Contre-Manifeste de Conscience africaine», l’ABAKO :
• exigea l’émancipation pour le plus tôt possible : notre patience a dépassé les bornes. Puisque l’heure est venue, il nous faut accorder aujourd’hui même l’émancipation que de la retarder encore de trente ans. Pour l’ABAKO la colonisation ne se justifiait plus si les colonisés n’étaient plus consentants.
• rejeta l’acquisition de la nationalité congolaise par les Belges et l’idée d’une communauté belgo-congolaise.
• revendiqua la création des partis politiques pour permettre aux congolais de prendre une part active à la vie politique du pays et se déclare ouvertement pour le multipartisme. Pour l’ABAKO, la naissance des partis politiques encouragerait la démocratie.
• se prononça clairement pour le Fédéralisme considéré comme mode d’organisation politique pour un pays pluricommunautaires et de taille gigantesque. Pour l’ABAKO, tout en sauvegardant l’unité au sommet, il faudra préserver les diversités identitaires à la base dans une forme d’Etat qui ne peut être qu’un Etat fédéral. Plus prosaïquement, dans sa réplique au manifeste de Conscience africaine, l’Abako a fait le lien entre la question du fédéralisme et celle du pluralisme politique en défendant l’idée que la diversité ethnique et culturelle fondamentale du pays doit se traduire, en même temps que par une organisation fédérale, par la création de partis politiques exprimant cette diversité.
Il faut dire que ce discours de l’ABAKO, qui a récolté un succès extraordinaire, était révélateur de l’orientation politique que Joseph KASA-VUBU voulait imprimer à l’Association culturelle ABAKO qu’il venait d’hériter. Il s’est engagé résolument et laborieusement dans le processus de transformation de nos conditions d’existence et d’appropriation de notre futur en faisant preuve d’un leadership efficace dans la direction de l’ABAKO. Cela a été déterminant dans le renforcement de la conscience civique et politique des membres de cette association, ancêtre de notre Parti.
03.2. Cause médiate : la conférence des peuples africains tenue à Accra en décembre 1958.
A l’époque où fut publié le «Contre Manifeste de Conscience africaine», s’il est un Africain épris de la liberté de peuples africains, il y a lieu de citer le Président ghanéen Kwame Nkrumah, indépendantiste et panafricaniste. Celui-ci comptait beaucoup sur la Conférence des Peuples Africains d’Accra pour, non seulement, accélérer la libération des territoires africains sous administration coloniale mais également pour répandre l’idéologie panafricaine qui consiste en l’affirmation de la personnalité africaine et l’unité totale de tous les peuples frères d’Afrique.
En 1958, Kwame Nkrumah invite 4 leaders congolais qui lui avaient paru les plus engagés dans le mouvement de libération nationale à prendre part à cette conférence prévue, du 5 au 13 décembre. Patrice Lumumba s’est empressé de répondre à cette invitation. Il s’y rend accompagné de Gaston Diomi, bourgoumestre de Ngir-Ngiri, Joseph Ngalula, alors rédacteur en chef de «Présence Congolaise », un hebdomadaire contrôlé par Courrier d’Afrique et M. Derycoyard. Joseph Kasa-Vubu, quant à lui, s’est montré réticent. Il fut bloqué en dernier ressort par son carnet de vaccination qui n’était pas en règle. Selon son biographe Charles-André Gillis, cet empêchement apparaît tel un hasard qui arrange bien les choses : Joseph Kasa-Vubu n’avait à cœur de se rendre à Accra pour plusieurs raisons, dont la plus importante est : fédéraliste, il n’avait pas un discours à prononcer au milieu des panafricanistes prônant l’unitarisme national.
A Accra, Lumumba est ébloui par N’Krumah qui apprécie son talent d’orateur et l’adopte vite en lui prodiguant des conseils relatifs aux méthodes et à la propagande d’une action révolutionnaire et anticoloniale.
Dès son retour au Congo il devient un disciple de N’Krumah. Il organise le dimanche 28 décembre 1958 l’un des premiers grands meetings populaires de la capitale qui a drainé de milliers de personnes pour exposer les conclusions de la conférence d’Accra ainsi que l’objectif de son mouvement. Il conclut que les objectifs de la conférence coïncident avec celui de son mouvement qui est la libération du peuple congolais du régime colonialiste et son accession à l’indépendance. Il insiste sur le fait que l’indépendance est un droit et qu’elle apportera une amélioration sensible des conditions de la population.
Ce discours a eu un grand retentissement dans la cité africaine compte tenu de l’éloquence de l’orateur. On se posait la question de savoir ce que dirait Kasa-Vubu. Se montrera-t-il plus violent, plus incisif à la réunion de l’Abako prévue pour le dimanche 4 janvier 1959 à la place YMCA à une semaine de la déclaration gouvernementale ? L’administration coloniale tint le même raisonnement et redouta les conséquences d’une surenchère politique.
03.3. Cause immédiate : l’interdiction de la réunion publique de l’ABAKO
C’est peut-être la raison évoquée ci-dessus qui amènera l’administration belge à interdire la réunion de la section KALAMU de l’ABAKO. Le Président sectionnaire Vital Muanda reçoit cette lettre le samedi dans l’après-midi. Il contacte le comité central qui consent à postposer cette réunion le 18 janvier après la déclaration gouvernementale du 13 janvier sur l’avenir politique de la colonie pour réagir et faire d’une pierre deux coups. Mais il était trop tard pour informer les militants qui étaient là dès 11 heures et ne cessaient d’affluer d’heure en heure. L’annonce du report de la réunion faite par Vital Muanda soulève une protestation générale dans une foule compacte composée non seulement des militants de l’Abako mais également des personnes de tout bord venues de l’ensemble de la « cité noire ».
Les chiffres officiels parlaient d’au moins 4.000 personnes. Contre toute attente, M. Duvivier, administrateur du territoire chargé des associations qui n’était pas informé du report de la réunion contredit le président sectionnaire de l’Abako, à la grande joie de la foule présente.
Joseph Kasa-Vubu se pointe à 15 heures avec Nzeza N’landu, le fondateur de l’Abako, et M. Antoine Kingotolo, le secrétaire général du parti, pour confirmer le report de la réunion. La foule qui n’avait rien compris de son discours l‘acclame frénétiquement en criant « vive le Roi Kasa ! vive l’indépendance ! ». A peine Joseph Kasa-Vubu parti, la bagarre éclate entre la police et les manifestants puis s’ensuit l’émeute qui gagna vite le quartier FONCOBEL où résidaient les commerçants portugais. En même temps, ignorant ce qui se passait à proximité, les spectateurs qui sortaient de stade Roi Baudouin se joignent à cette foule des manifestants et la police perdit le contrôle de la situation. Et ce qui devrait arriver arriva : la manifestation du 4 janvier 1959 dégénère en émeutes violentes qui entraîneront une sévère répression des autorités coloniales. Cet événement donnera un élan aux revendications indépendantistes qui trouveront un écho dans un discours prononcé par le roi des Belges, Baudouin 1er, le 13 janvier.
04. Bilan
Le bilan fut très lourd : 208 morts selon le Ministre de la colonie et 340 pour l’ABAKO, entre 1700 et 1800 blessés et de nombreuses arrestations.
Plusieurs magasins ont été pillés, des infrastructures scolaires, sociales, des maisons communales et des commissariats de police ont été détruits, des voitures incendiées etc.
Plusieurs responsables de l’ABAKO furent arrêtés, dont les bourgmestres Diomi et Kasa-Vubu révoqués, et le bourgmestre Pinzi suspendu. l’ABAKO fut dissoute par l’arrêté n° 17/59 du 11 janvier 1959 du Premier Bourgmestre de la ville de Léopoldville, tandis qu’un petit noyau de résistant composé essentiellement de ressortissants de Ndjili dont Kingotolo, Mumbamuna, Weyi, Nlandu et Sala et des personnalités comme Manianga, Gonda et tant d’autres se réfugient à Brazzaville ou ils constituèrent un comité de défense de l’ABAKO et y demeurèrent pendant 6 mois. Ce comité s’est donné un rôle politique notamment dans l’action de lobbying sur l’opinion internationale (Télégramme auprès du Pape, à l’ONU pour demander l’intervention de ses troupes et pression sur le gouvernement belge pour l’obtention de l’indépendance au Congo) et pour la désignation de Maitre Croquez pour défendre les leaders de l’ABAKO emprisonnés ainsi que la collecte de fond pour payer ses honoraires.
Mis en liberté provisoire, Kasa-Vubu fut invité en Belgique par le Gouvernement Belge avec Daniel Kanza et Simon Nzeza pendant deux mois, de la mi-mars à la mi-mai. Les dirigeants de l’Abako ne baissèrent pas pour autant la garde. Tel le sphinx, l’Abako renaquit de ses cendres le 26 juin 1959 sous la dénomination de « l’Alliance des Bakongo».
Les tentatives de musèlement de l’Abako par l’autorité coloniale, loin de la décourager radicalisait au contraire sa lutte. Ainsi, malgré la déclaration gouvernementale belge du 13 janvier 1959 promettant l’indépendance, l’Abako estimait que cette déclaration n’était qu’un leurre, une promesse de plus. Aussi revendiquait-elle fin avril 1959 la formation des gouvernements provinciaux dès janvier 1960, et du gouvernement congolais en mars 1960.
Face aux tergiversations et aux atermoiements de la partie belge, l’Abako radicalisa son opposition et prôna le boycott des élections de secteurs de juillet – août, le refus de participer aux colloques des partis politiques organisés par l’administration coloniale, et la désobéissance civile. Cette désobéissance civile impliquait, dans l’espace contrôlé par l’Abako, particulièrement dans le Bas-Congo, le refus de payer les impôts et les taxes, le refus de se présenter à l’Etat civil, de répondre aux convocations des tribunaux, d’exécuter les sentences de la justice, le refus de tout contact et de tout dialogue avec l’Administration, le refus de présenter les livrets d’identité, le refus des vaccinations et des soins médicaux.
Les exigences de l’Abako, assumées également par le Cartel ABAKO (PSA, le MNC/KALONJI, le Parti du Peuple et l’ABAZI) dont le mot d’ordre adopté fut «l’indépendance immédiate et totale pour un Congo uni et fédéral», contribuèrent à l’accélération du processus d’indépendance avec le démarrage dès le 20 janvier 1960 de la Conférence de la Table Ronde politique belgo-congolaise afin de discuter de l’avenir du Congo.
05. Conclusion
Ces brèves indications historiques visent à souligner l’importance capitale de l’insurrection populaire des 4-7 janvier 1959 dans l’avènement d’un Congo indépendant et le rôle central qu’y a joué l’Abako, premier parti politique congolais et noyau du mouvement de lutte pour l’indépendance de notre pays.
Le 04 janvier 1959 que nous commémorons aujourd’hui a marqué le déclenchement de la conquête de l’indépendance puisque, une année et demie après, le Congo belge accèdera à la souveraineté nationale et internationale.
A propos de cette date, tous les historiens de bonne foi sont tous unanimes que la journée du 4 janvier 1959 a non seulement déclenché une accélération inattendue de la marche vers l’indépendance du Congo, mais également marqué une étape décisive dans la conquête de l’indépendance. Le 4 janvier 1959 est le jour où le pouvoir colonial a dû prendre conscience que l’indépendance était une aspiration profonde et les Congolais l’ont manifesté.
Tous les historiens de bonne foi reconnaissent le rôle décisif de l’Abako dans l’effort pour l’indépendance. Cependant, la plupart d’entre eux constatent malheureusement que son destin à la veille et après l’indépendance n’a pas été à la mesure de ce rôle décisif. Cela doit nous faire réfléchir.
Je voudrais terminer mon adresse en rendant un vibrant hommage au Président de la République et Chef de l’Etat, Félix Antoine TSHISEKEDI TSHILOMBO pour avoir réhabilité Joseph KASA-VUBU dans la mémoire collective des Congolais en le proclamant Héros national. Comme il est difficile de dissocier KASA-VUBU de l’ABAKO et l’ABAKO de KASA-VUBU, nous osons espérer que la réhabilitation de cette figure emblématique de notre histoire s’étendra à l’œuvre qu’il a forgée pour marquer la présence de l’ABAKO, membre des Forces Politiques et Sociales Alliées à l’UDPS «FPAU» en sigle, dans les lieux et les cercles du pouvoir où se décide le destin de notre peuple. Car, en tant que membre des FPAU, l’Abako entend soutenir la vision du Président de la République, Chef de l’Etat, et en tant que parti, il est déterminé à l’aider dans ses actions sur le terrain.
Je vous remercie.
Pierre Anatole MATUSILA
Président Général