Allocution des prêtres originaires de l’archidiocèse de Kinshasa en mission en Belgique et partout dans le monde aux funérailles de Laurent Cardinal Monsengwo Pasinya
Excellence Monseigneur Jean Koekerols,
Révérendes sœurs, Révérends Pères,
Mesdames, Messieurs,
Chers frères et sœurs dans le Christ,
C’est avec un cœur serré que nous, prêtres originaires de l’archidiocèse de Kinshasa en mission et partout dans le monde, prenons la parole en ce moment si douloureux.
Nos premiers mots sont une action de grâce au Seigneur, Maître de la vie, qui a donné à l’Église du Congo et à la chrétienté catholique ce digne fils d’Afrique, pasteur fort épris de la vérité, grand homme exemplaire, acteur social puissant : Laurent Monsengwo Pasinya.
Nous voudrions aussi dire notre reconnaissance à l’Église de Belgique, particulièrement au diocèse de Malines-Bruxelles, dont l’évêque, son excellence Mgr Jean Koekerols, nous a réunis cet après-midi dans cette basilique pour la prière commune en mémoire du Cardinal Monsengwo.
Avec des sentiments mêlés de joie et de tristesse, joie du labeur accompli sur terre par ce pasteur et acteur politique de haut rang pour l’Église et l’État congolais, tristesse de voir cette œuvre pleine de promesses inachevée, nous voudrions enfin remercier le Cardinal Monsengwo pour le leadership qu’il a exercé en RD Congo. Son implication pour l’inculturation du message révélé et l’émergence d’une Église-famille de Dieu ainsi qu’un État de droit en RD Congo a été portée par sa passion pour la vérité. De Kisangani à Kinshasa, de la présidence de la Conférence Nationale Souveraine, à celle du Haut Conseil de la République-Parlement de Transition, sans oublier la présidence de la Conférence épiscopale nationale du Congo, Laurent Monsengwo s’est révélé un pasteur prophétique, un acteur démocratique de premier plan, bref pour le dire à la suite du jésuite belge Jean-Paul Laurent, « une stature présidentielle ».
Dès les premières années de sa formation en théologie à Rome, Laurent Monsengwo avait placé la quête de la vérité au cœur de sa vie et de ses engagements. Sa devise épiscopale « la foi en la vérité » irriguera ses prises de position, charriant le projet ecclésial d’une Église inculturée et le projet éthique de la construction du nouveau Congo sur des valeurs évangéliques et démocratiques. Il s’y attellera dans ses écrits et ses initiatives pastorales à travers la conscientisation des chrétiens catholiques, l’éducation des hommes politiques et la moralisation de la vie publique en vue du règne de la transparence démocratique, de la justice et de la paix. De là, son combat pour le bien-être des Congolais et le soutien apporté au Comité laïc de coordination et les marches des chrétiens en 2017 et 2018.
Éminence, vous quittez la terre des hommes au moment où le Congo a le plus besoin de votre conscience critique, de votre culture théologique érudite, de votre expérience politique avérée et de votre ambition de participer à sa reconstruction à travers le service de notre Église.
La situation dans laquelle vous laissez ce pays est incongrue. Elle est une tragédie ponctuée d’une piteuse alternance sans alternative, saupoudrée du triomphe du mensonge et portée par la logique du kosa leka. Elle ne nous décourage cependant pas, nous vos prêtres et les laïcs que vous avez formés et soutenus. Nous nous ressourcerons encore dans vos discours sans artifices, exemptés de toutes commisérations hypocrites, de verbiage mièvre et de phraséologie sentimentale, pour retrouver ces mots simples et subversifs, ces analyses argumentées procédant par une rétrospective ouverte à la prospective. En nous, résonnent encore cet hymne que vous avez composé lors de la prise de possession de l’archidiocèse de Kinshasa : « Kinshasa, lève-toi, resplendis de la lumière du Christ ». Vos déclarations et messages restent gravés dans nos cœurs, et les expressions suggestives qui entretenaient l’ardeur du peuple émailleront dans l’avenir notre combat. Je les cite : « Il est temps que les médiocres dégagent », « sommes-nous dans une prison à ciel ouvert ? « Une logorrhée inutile et écœurante », « que règne la force de la loi et non la loi de la force », « c’est l’argent criminel », « Une autorité et un pouvoir qui ne s’occupent pas en premier lieu du bien commun et du peuple, mais de ses propres intérêts, est un pouvoir sans objet ».
Nous n’oublierons jamais votre « parler tranquille » avec son débit lent, proche de la conversation familière, de la confidence amicale, voix de Pasteur qui interpellait tout le peuple. Nous nous souviendrons encore de vos catéchèses à la jeunesse les dimanches des Rameaux, de la formule « vérité des urnes » que vous avez formalisée et vulgarisée. Nous garderons en mémoire ces mots justes qui dénonçaient le cycle de mégestion, corruption, prédation, impunité ainsi que la fraude électorale et la fraude à la Constitution.
Nous nous réjouissons déjà de la tradition que vous avez créée qui sort la parole épiscopale des rets de la langue de convenance. Votre façon de communiquer livre une nouvelle intelligence de la mission de l’épiscopat dans un pays en proie à la néo-colonisation et qui ploie sous la convoitise de ses puissants voisins. À votre suite, nous comprenons que le Congo a besoin d’évêques et des prêtres qui sont gardiens de la mémoire, « dénonciateurs » des injustices, des fidèles parrhésiastes, animés du courage de la vérité et qui misent sur l’efficacité temporelle de la foi à travers leurs actions, donnant ainsi des contours neufs à la doctrine sociale de l’Église en prenant part activement au combat pour la vérité, la justice et la paix. Une paix qui, comme l’enseigne votre homélie à la messe de la prise de possession de l’archidiocèse de Kinshasa,«n’est pas simplement le silence des armes, mais surtout la paix fondée sur la réconciliation des esprits et des cœurs, la paix qui dit dialogue, suppression des barrières raciales,ethniques, sociales et politiques, la paix fondée sur la fraternité en Jésus Christ, la paix qui est Jésus-Christ»
Nous sommes conscients que prêcher l’Évangile de la libération expose à des risques, des déboires, des humiliations et des trahisons. Vous aviez bien pris la mesure de ces risques lorsque, dans l’homélie de la messe d’accueil en tant que nouveau Cardinal, vous décliniez votre « engagement renouvelé pour l’annonce de l’Évangile, profession fidèle de la foi jusqu’à l’effusion de sang, témoignage intrépide au Christ et à son évangile, fidélité à Pierre et à son successeur, amour de l’Église ».
Votre parcours l’illustre à suffisance, vous êtes resté constant et fidèle à vos obligations et devoirs du cardinalat, en dépit des dangers encourus afin de restaurer et d’ennoblir la vie du peuple de Dieu qui vous a été confié.
Éminence, vous n’avez pas eu le temps d’accompagner le combat du peuple pour le rétablissement de la vérité des urnes après les élections de 2018. Vous ne verrez pas non plus poindre à l’horizon les signes avant-coureurs d’un avenir radieux du Congo. À votre suite, néanmoins, nous gardons vive l’espérance. Comme vous le souligniez dans votre conférence du 30 décembre 2018 aux Grandes Conférences Catholiques à Bruxelles : « L’avenir du Congo ne se déploiera nulle part ailleurs que dans la démocratie qui implique l’État de droit, le respect des libertés, et donc le sens de la vérité inhérente aux aspirations du peuple à la vertu et à son bonheur ».
Les germes que vous avez jetés pour cet avenir nous mobiliseront demain et après-demain pour l’émergence d’un État de droit. Kinshasa se lèvera comme vous l’aviez chanté et fera resplendir la lumière du Christ pour l’avènement d’une Église congolaise dans un État de droit en RD Congo.
« Il est temps finalement que les minables dégagent définitivement avec l’avènement d’hommes et femmes politiques totalement nouveaux », aviez-vous insisté dans votre conférence de Bruxelles.
Éminence, nous, vos prêtres, nous vous remercions de nous avoir impliqués dans votre combat pour « rendre à Dieu un pays plus beau et plus développé, sans chamailleries inutiles ni disputes partisanes, et édifier une Église de Dieu toujours plus splendide, sans taches, ni rides, ni aucun défaut, mais sainte et responsable (Eph 5, 27) ».
Nous prenons l’engagement solennel d’entretenir votre mémoire en démobilisant les médiocres, démotivant les minables, et aidant le peuple à « écrire son histoire d’un avenir meilleur, prospère et radieux ».
Puissiez-vous vous reposer de votre labeur, et veiller sur le Congo, l’Afrique et le clergé de Kinshasa.
Que Notre-Dame du Congo nous console de notre chagrin de vous perdre, qu’elle vous conduise au Père auprès de qui nous espérons vous retrouver après avoir servi le Christ dans les plus petits de ses frères qui sont en RD Congo.
Amen.
Ignace Ndongala